vendredi 19 décembre 2008

Si l'état n'agit pas, la rue le fera...

Le gouvernement face à ses responsabilités.
Je suis le premier à dire que l'état, le gouvernement, ou les autorités constituées ne peuvent pas tout faire, et qu'on ne peut, ou qu'on ne devrait pas, les rendre responsables de tout.
C'est pourtant ce que l'on va faire, ce que le 'peuple' va faire, ce que la rue va faire, si les prévisions de récession continuent à s'amonceler, et si nos experts continuent à prendre un air chagriné, certains ne cachant pas leur jubilation devant ce mauvais coup porté à la majorité, présidentielle ou gouvernementale.

Entre réformes sérieuses, et révolution catastrophique, il y a urgence.
Le mouvement des lycéens montre que ce n'est évidemment pas de l'école qu'il s'agit. On peut le déplorer, mais ce n'est ni le contenu des programmes, ni le sort des professeurs partant à la retraite qui intéresse les jeunes, mais leur propre avenir. Il ne s'annonçait pas riant il y a 3 ans, au moment du mouvement anti-CPE, alors que la croissance était encore là.

Maintenant que l'on annonce une récession d'au moins 1% - et elle sera pire encore si on ne va pas bien au delà des mesures de relance déjà annoncées, les jeunes peuvent vraiment se demander quel avenir les attend, réforme ou non.
En dehors de la violence de certaines de ces manifestations - violences inexcusables mais explicables - au delà de leur désarroi, il y a un véritable désespoir que l'on voit percer de ci de là.

Les mesures prises, financières comme économiques, restent incompréhensibles aux yeux de la plupart de nos concitoyens.
Ils n'ont d'ailleurs pas entièrement tort de juger sévèrement ces mesures, lorsqu'ils en comprennent les raisons. Et même s'ils avaient tort, la perception que ce sont toujours les mêmes qui trinquent, et les mêmes qui s'en sortent, ne ferait rien pour leur redonner confiance en ceux qui les gouvernent, en ceux qui nous gouvernent.

Face à des affirmations discutables, la méfiance généralisée s'installe.
Au delà de querelles idéologiques entre la droite - ou prétendue telle - et la gauche - ou ce qu'il en reste, le contexte socio-politique est en complet désarroi, du fait d'une situation économique désastreuse, et d'affirmations d'experts très contestables.
Ainsi, il n'est pas vrai qu'une économie moderne ait besoin de marchés financiers florissants - ce n'est pas la Bourse qui aide les entreprises à se développer, même si c'est elle qui conduit certaines entreprises à se lancer dans une course au gigantisme, afin de résister à des OPA, ou au contraire à profiter de certaines aubaines. Mais cela, les intermédiaires boursiers et les professeurs de finance des marchés ne sont pas prêts à l'admettre, et à abandonner ainsi leur gagne-pain qui leur assurent des heures de 'consulting' à plusieurs milliers d'euros.

Il n'est pas vrai non plus que le système bancaire soit le seul à pouvoir assurer le fonctionnement normal de l'économie. Il est bien placé, certes, quand il fonctionne correctement, et lorsqu'il accorde des prêts 'normaux' au financement des entreprises et à la consommation des ménages. Mais lorsqu'il consacre l'essentiel de ses fonds, et la plupart de ses 'experts' - souvent recrutés dans les majeures 'Finance' de nos grandes écoles - et qui ne connaissent donc pas grand chose à la vie économique réelle, à des placements financiers dans des fonds de fonds de fonds d'investissement, il vaut mieux s'en séparer. Quitte à demander à l'état de faire fonctionner lui-même correctement les mécanismes de création monétaire qu'il avait pour fonction régalienne de surveiller.

Les mesures à prendre.
La première, de loin la plus facile 'économiquement' - mais pas si facile idéologiquement - est de reconnaître que les investisseurs et les spéculateurs qui ont perdu leur chemise (c'est plus souvent leurs yachts) en 'jouant' à la Bourse en espérant des rendements très supérieurs au taux de croissance de l'économie ont eu tort de le faire, et que nulle mesure ne sera prise pour leur venir en aide.
Un bémol peut être pour les très petits épargnants dont le montant investi - une goutte d'eau dans les montants en jeu - serait très faible, 5 ou 10000 euros pour fixer les idées. On peut en effet penser qu'ils ont été grugés par des conseillers financiers peu scrupuleux, m^me s'ils ont manqué de bon sens et de retenu: ON NE PEUT GAGNER HONNETEMENT PLUS QUE LE TAUX DE CROISSANCE DE L'ECONOMIE, les richesses étant produites par le travail, et non par la spéculation.

Toujours dans la même idée, celle de restaurer la confiance, et de montrer que les escrocs financiers sont aussi coupables que le petit voleur à l'étalage - et qu'ils coûtent beaucoup plus cher à la collectivité - je pense qu'il faudrait assortir la moindre aide aux banques françaises de la condition sine qua non du départ de l'ensemble de l'équipe dirigeante de la banque concernée - et pas seulement de quelques lampistes ou traders aux actions médiatisées à dessein.
Si le chef d'état major de l'armée a été 'démissionné' pour un acte commis par un sous-officier à Carcassonne - alors que sa responsabilité véritable ne devait pas être colossale - c'est bien le moins de demander à nos banquiers d'avoir un peu de décence, et de comprendre qu'ils ont fait leur temps.
Si une telle mesure n'est pas possible légalement, puisque les banques françaises sont privées, la puissance publique peut jouer sur les différents ratios exigés des banques réfractaires pour qu'elles comprennent qu'elles ont tout intérêt à se débarrasser de leurs haut dirigeants - au mieux irresponsables, au pire incompétents et malhonnêtes.
Ce couple de mesures ne coûterait rien financièrement, et pourrait commencer à restaurer la confiance dont notre pays a tant besoin, en cette période que d'aucuns commencent à juger pré-révolutionnaire, du fait du désespoir grandissant de nombre de nos compatriotes.

Quelques mesures 'purement économiques'.
Lancer de grands travaux d'infrastructure (enfouissement de lignes EDF, amélioration de voies ferrées laissées à l'abandon, restauration d'écluses et régulation et développement de voies navigables, habitats collectifs orientés 'écologie', fermes photo-voltaiques, centrales nucléaires de troisième génération - même si cela va faire grincer des dents,...) est évidemment une des priorités, même si son coût très important n'a permis au gouvernement actuel que d'en annoncer une toute petite partie. Cette mesure est importante à long terme - certaines infrastructures manquant cruellement à notre pays - et à court terme relancera l'emploi dans le secteur du BTP, sans grever pour autant notre balance commerciale, tout en assurant du pouvoir d'achat au personnel concerné.

Pour un Revenu Minimum de Dignité.
Mais il faut aussi relancer la consommation, par le biais du pouvoir d'achat des catégories les moins privilégiées de la population. Je propose à ce sujet, sans reprendre les thèses un peu extrêmes du mouvement sociétalisme, de distribuer à chacun de nos concitoyens, adultes, - indépendamment de toute autre sorte de revenu qu'il pourrait tirer de son travail, l'équivalent du quart du PIB moyen par habitant.
Ce PIB moyen est de l'ordre de 30000 euros annuels, soit 2500 euros mensuels.
Chaque adulte de notre pays devrait donc percevoir - et cette mesure peut être mise sur pied en moins d'un an - 625 euros de R.M.D., net d'impôts. On peut aussi imaginer qu'un enfant de moins de 18 ans recevrait en moyenne la moitié de cette somme, de façon progressive, un couple ayant 2 enfants de 8 et 10 ans recevant ainsi de la collectivité près de 1900 euros mensuels, indépendamment de tout revenu issu de son travail. Ce R.M.D. serait en grande partie financé par la disparition de nombre de mesures à l'inefficacité garantie et qui ont pour directe conséquence une inflation des travaux administratifs, sans aucune valeur ajoutée, ayant pour principal objectif de vérifier que telle ou telle allocation va bien à la bonne personne, et ne contredit pas telle ou telle autre mesure.

D'autres mesures peuvent être envisagées, comme une TVA sociale qui pénaliserait les produits importés de pays dont les conditions de travail sanitaires et humaines sont plus que discutables, ou pour avantager les produits 'propres' ou 'éthiques'. Mais ceci est une autre histoire. Ce qui est sûr, c'est qu'il faut agir, le 'bon peuple' ne va pas attendre passivement que les experts lui annoncent de nouvelles catastrophes dans lesquelles il sera considéré comme un simple 'dommage collatéral'.

mercredi 17 décembre 2008

Fin de l'histoire, ou fin du capitalisme?

Les prophètes en général, les Cassandre en particulier, sont rarement bien accueillis. Cela tombe bien, je n'ai nullement l'intention de faire des prophéties. Comme chacun sait, si tout un chacun se sent capable de refaire l'histoire - parfois hélas en la récrivant plus ou moins complètement - c'est beaucoup plus difficile, voire impossible, de prévoir l'avenir: c'est bien dommage, en particulier pour tous les experts ou prétendus tels.

La chute du mur de Berlin.
Certains ont cru voir dans la chute du mur de Berlin la fin de l'histoire. Ce qui est plus vraisemblable, c'est que c'est la fin d'une histoire, la confrontation bloc contre bloc, comme finalement dans toute l'histoire où se sont affrontés plusieurs empires, avec des armes similaires. Dans le conflit type "guerre froide", c'était idéologie contre idéologie, capitalisme contre communisme, libéralisme contre plan, mais surtout "muscles" contre "muscles", production (en particulier d'armes) contre production. Sur ce dernier plan, l'inefficacité notoire de la planification soviétique a fini par apparaître au plein jour: il n'y a qu'à voir la différence qu'il pouvait y avoir entre l'ex Allemagne de l'Est et celle de l'Ouest.

Le capitalisme ayant vaincu par abandon de l'adversaire, et n'ayant plus de repoussoir faire-valoir, certains ont décrété la fin de la partie. C'était sans compter sur la malice de l'histoire, et les capacités adaptatives des hommes. en effet, alors que, historiquement, le libéralisme, dans sa version la plus ancienne - celle du capitalisme industriel - était censée être liée à des pratiques démocratiques - la mondialisation allait changer tout cela. Qui aurait pu prétendre, il n'y a guère que 15 ans, que après 40 ans de maoïsme, la Chine allait prendre l'essor qu'elle connaît actuellement, tout en restant sous la loi d'airain d'un parti unique tout puissant. Sans être un expert de la Chine, je ne crois pas que les droits de l'homme aient progressé de concert avec la formidable expansion économique de ce pays. Faut-il en conclure que le développement actuel de la Chine est un indicateur de ce qui attend l'ensemble du monde: un système productif efficace, mais qui semble se soucier comme d'une guigne des droits sociaux et des atteintes, parfois irrémédiables, faites à l'environnement.

Après le capitalisme, quoi donc?
Après le mouvement "anti-mondialiste", transformé - avant que le ridicule ne tue cette dénomination - en mouvement alter-mondialiste - ce que tout un chacun peut admettre, dès lors qu'on peut mettre ce que l'on veut derrière, voilà qu'on annonce, ou qu'on réclame, la fin du capitalisme.
Il est malheureusement plus facile, et sans doute plus rassembleur, d'être contre quelque chose que de proposer autre chose. A ma connaissance, je ne connais qu'une petite équipe qui s'est efforcée d'aller jusqu'au bout de ces idées 'anti-capitalistes', en proposant un système, sans aucun doute critiquable sur de nombreux points, mais intéressant, je veux parler du "sociétalisme" cher à Holbecq. Certaines de ses idées sont issues du distributisme, d'autres essaient de démonter le système monétaire 'occidental', en reprenant l'idée d'une monnaie liée à la consommation - qui a montré ses limites dans l'économie soviétique.
L'idée de son Revenu d'Existence - que j'avais proposé sous une autre forme il y a 15 ans sous la forme du Revenu Minimum de Dignité - n'est pas non plus sans intérêt.

Le capitalisme est-il réformable?
Mais en dehors de cette tentative, fort louable, de construire un système qui pourrait peut être s'envisager - ou en tout cas que l'on peut critiquer, et amender - les tenants purs et durs de l'anti-capitalisme ralliés autour de notre postier national ne proposent rein, sinon de l'anti.

De nombreuses voix se sont élevés contre les dérives du capitalisme - dérives ou défauts intrinsèques, on peut en discuter - et en particulier contre les dérives du capitalisme financier actuel. En fait, je ne pense pas que le capitalisme soit véritablement réformable, au sens où il y aura toujours des scandales et des injustices. On peut cependant le réguler, et éviter ainsi les crises qui ont parsemé les 20 dernières années.

Faire la chasse au capitalisme financier : pour l’euthanasie des spéculateurs
Comme je l’ai écrit par ailleurs, à partir du moment où l’homme et sont travail sont les oubliés du système, des systèmes, et où l’on pense – comme les modèles financiers – que l’argent va à l’argent, indépendamment du contexte économique, on court à la catastrophe, économique, sociale, et politique. Une façon de réguler le capital, c’est bien de le taxer, fortement, voire uniquement, et de ne pas taxer, ou très peu, le travail. Il est faux que le ‘capital’ a un mérite en soi, qui permettrait à ses détenteurs de ‘réclamer’ son dû. Ce n’est pas seulement l’euthanasie des rentiers qu’il faut réclamer, mais l’euthanasie des investisseurs, dès lors que ces derniers pensent pouvoir retirer de leurs économies ou de leur épargne – justement ou injustement gagnée, peu importe ici – plus que ce que produit l’économie réelle. Les modèles informatiques construits sur des théories financières abstraites ont fait perdre la tête à des pseudo-experts croyant tout connaître, ou incapables de reconnaître qu’ils ne maîtrisent plus leurs propres modèles. Que des milliards d’euros aient été perdus par des investisseurs grugés par Maldof ne me semblerait qu’un juste retour des choses : croire que l’on peut gagner durablement plus que 2 ou 3 fois le taux de croissance réel de l’économie est évidemment stupide : si on est le seul, c’est possible, cela s’appelle délit d’initié, si des millions le pensent, c’est tout bonnement débile. Mais les ravages qu’un tel scandale va faire sur l’économie réelle, ou ce qui en reste, sont difficilement calculables.

Pour un ‘encadrement’ des rendements.
Je ne sais pas s’il est possible de revenir au capitalisme entrepreneurial – je ne suis pas sûr qu’il ait vraiment existé. Mais je n’ai pas la même antipathie pour celui qui va investir jusqu’à sa chemise pour mettre sur pied un projet auquel il tient que pour celui qui a confié 10 ou 20 millions d’euros à un fonds d’investissement lui ‘garantissant’ du 10%. Une recette, pour terminer. De même que je juge condamnable le fait de prêter de l’argent à un taux usuraire, de même je pense qu’il devrait être interdit de faire miroiter à des investisseurs potentiels des gains potentiels sans aucun rapport avec ce que l’on peut attendre de l’économie réelle. Si l’économie croît à 4%, aucun rendement ne devrait être proposé à plus du double – l’escroquerie n’étant jamais loin – aucun prêt non plus – l’exploitation étant évidemment là. Dans les deux cas, on exploite la crédulité ou la faiblesse, soit des emprunteurs, soit des épargnants. C’est sans doute moins grave à court terme pour les épargnants, à long terme les dégâts sont aussi importants.

mardi 2 décembre 2008

Ideologies et science economique

Idéologies et Science Economique.
Au risque de paraître enfoncer des portes ouvertes, les doctrines et théories économiques véhiculent toutes une idéologie sous-jacente, quand ce n’est pas des dogmes purs et durs.

Etant sans doute plus candide que la plupart, ce fut un choc pour moi de constater, au cours d’une querelle entre deux théoriciens, P. Samuelson de Cambrige (Boston :USA) et J. Robinson de Cambridge (U.K.) que ce fut le plus idéologue des deux qui l’emporta – et qui obtint le Prix Nobel d’Economie. Le sujet n’était pourtant pas sans intérêt, puisqu’il portait sur la justification théorique de la rentabilité du capital, et donc sur la justification du partage des revenus entre salaires et profits.

La seule ‘vérité’ en ce domaine n’était ni technique, ni scientifique, mais sociale. Le partage salaires-profits est ‘indéterminé’, c’était du moins la position – que personne n’a pu contredire ‘scientifiquement’ – de Joan Robinson, disciple de J.M. Keynes. Certains ont cru pouvoir tirer de cet argument une justification de la lutte des classes, en oubliant ‘idéologiquement’ le rôle des entrepreneurs dans le système productif, qu’il soit plutôt ‘capitaliste’ ou plutôt ‘communiste’.

La Science Economique n’existe pas.
En fait, même si de grands scientifiques ont abordé les thèmes économiques, il n’existe pas réellement de Science Economique. J’irai même jusqu’à dire qu’il ne peut exister une telle Science, au sens où aucune science ne devrait être idéologique.

La physique atomique peut revendiquer le qualificatif de science – même si cela n’implique pas que les physiciens soient tous des scientifiques – car elle peut être ‘objective’, le sort des particules élémentaires, des bosons ou autres quarks ne préoccupant pas grand monde, au contraire de celui des êtres humains, voire des chiens et des chats.

Au contraire, en ce qui concerne les sciences humaines, et plus particulièrement l’économie, l’objectivité totale est exclue, puisqu’il est impossible d’assurer une totale indépendance entre l’observateur et les phénomènes observés.

Cela n’enlève rien, bien sûr, à la qualité de l’analyse de certains grands économistes du passé, D. Ricardo, J.S. Mill, K. Marx, Schumpeter, Keynes. C’est ainsi que l’on doit à Karl Marx une analyse extraordinaire du développent du capitalisme industriel du début du XIXème siècle. Mais sa vision d’une société sans classes était évidemment purement idéologique, voire dogmatique, puisque ne correspondant à rien de ce que l’on savait déjà à l’époque de la nature humaine. Un des plus lucides à ce sujet s’avère sans doute être Keynes, qui n’a jamais réellement prétendu que l’économie était une science, mais un ensemble de bouts de théories et de boîtes à outils.

Libéralisme vs. Economie planifiée.

A l’occasion de la crise actuelle, financière, monétaire puis économique, certaines querelles dogmatiques, que l’on espérait dépassées, ont revu le jour, en particulier sur le rôle, bénéfique ou non, du libéralisme – assimilé sans vergogne au capitalisme.
Les faits sont pourtant têtus, aux dires même de Lénine (qui savait pourtant les oublier, quand ces mêmes faits le dérangeaient). Le libéralisme, au moins jusqu’à aujourd’h,ui, et en dépit de sa myopie, et des dégâts sociaux qu’il a parfois entraînés s’est montré plus efficace – il faudrait certes mieux définir cette efficacité – que tout autre système économique, en particulier ceux à base de planification étatique.

Mais cela ne justifie nullement que ce libéralisme soit le meilleur système possible, en tout cas cela n’a pas été ‘démontré’ scientifiquement, et cela ne pourra jamais l’être – pour les raisons exposées plus haut.

La carte n’est pas le territoire
Une des premières idées que je tente de faire passer à mes étudiants quand j’aborde la question de la modélisation, c’est que aucun modèle ne peut couvrir tous les aspects de la réalité, et donc que ‘la carte n’est pas le territoire’.
Le plus grand danger étant d’oublier l’objectif du modèle et les a-priori (voire l’idéologie) sous-jacents.

On connaît bien sûr les tares en ce domaine des modèles économiques néo-classiques, celui de l’équilibre général en particulier. Mais le modèle hongrois, et son application soviétique, de l’économie planifiée est sans doute pire encore, car il repose sur une méconnaissance totale – volontaire ou non – de la nature humaine, à savoir la volonté égalitaire des êtres humains.
A. Smith misait sur l’égoïsme individuel – réalité indiscutable – pour essayer de construire un optimum collectif – ce qui est évidemment une gageure. Mais miser sur un altruisme individuel pour aboutir à un optimum collectif, même si ce but apparaît plus noble, est à l’évidence stupide. L’homme a plusieurs facettes, il n’est ni démon, ni ange, et un modèle, ou des actions concrètes, qui ne prendraient pas cette dualité en compte ne peut que conduire à des catastrophes.

Chassons donc l’idéologie de nos pensées, ou si ce n’est pas possible sachons la reconnaître, pour éviter de faire croire à l’homme de la rue, au citoyen ordinaire, à vous et à moi, que les experts ‘savent’, et que le ‘bon sens populaire’ ne peut rien comprendre aux ‘grands évènements’ de notre temps. Ce n’est qu’à cette condition que la confiance – peut être limitée, et sous conditions – peut revenir. Et la confiance, c’est ce dont on manque le plus en ces moments de crise.

Dans le cas contraire, les idéologies se révèleront effectivement le ‘meilleur ennemi’ de l’économie.

lundi 17 novembre 2008

Des fonds souverains a la francaise

N. Sarkozy est un magicien. Un magicien des mots, tout d'abord, car il a l'art de reprendre au bond des idées , même s'il les détourne parfois de leur sens originel, un magicien des actes, aussi, car il lance des propositions d'action en moins de temps qu'il n'en faut au PS pour continuer à se ridiculiser dans sa guerre des chefs, des sous-chefs, des courants, des motions, au moment même où la France entière se demande ce que la crise va lui apporter, et plus encore lui enlever.

Au delà de cette magie, qui montre à l'évidence une grande intelligence politique de notre président, que reste-t'il, en dehors d'une admiration pour son activisme et ses talents de leader - pas toujours appréciés par ses collègues chefs d'Etat ou de Gouvernement.

Un fonds souverain, késaco?
Les fonds souverains ou fonds "d'état", sont connus depuis longtemps, mais ont été remis au goût du jour par les émirats et plus généralement par les pays pétroliers riches en devises et pétro-dollars. Ils désignent en fait tous les fonds d'investissement détenus par un état. Les fonds en "pétro-dollars" (875 milliards de dollars pour les seuls Emirats Arabes Unis)représentaient en 2008 les 2/3 des fonds souverains globaux, dont le montant est lui-même estimé à 2800 milliards d'euros, ou encore 1,5% du montant total les titres financiers mondiaux (actions, obligations et dépôts bancaires). On prévoyait, avant la crise, leur doublement en 4 ans, leur quadruplement d'ici 2015.

Les fonds souverains, un moyen d'action, défensif ou offensif?
Ils ne jouent pas tous le même rôle, certains, comme les fonds norvégiens (près de 300 milliards d'euros), sont par ailleurs en train d'évoluer, d'un rôle 'financier' classique - prise de participation dans diverses entreprises internationales - à un rôle plus innovant : soutien d'entreprises du secteur de la biodiversité et énergies renouvelables. On peut cependant les classer en deux catégories: les fonds offensifs, comme les fonds chinois, qui prennent ou tentent de prendre des participations dans des grandes entreprises internationales, le plus souvent américaines (ce qui aide ainsi, par ailleurs, les USA à rééquilibrer leur balance des paiements). Et les fonds défensifs, dans lesquels on pourrait ranger le projet de fonds français, ont pour but affiché d'empêcher des prédateurs indésirables d'acquérir - à bon compte en cas de baisse importante du marché boursier - une part importante des entreprises nationales.

Que faut-il penser du fonds souverain à la française?
Une première caractéristique, qui n'a évidemment pas échappé aux critiques, est son mode de financement. Les fonds souverains existant reposent tous - à l'exception peut être du fonds chilien (8 milliards d'euros seulement, dont une bonne part composée d'un fonds de retraite) - sur des excédents en devises ou au moins sur un excédent de la balance commerciale, jamais sur des déficits budgétaires ou commerciaux.
La deuxième propriété de ce fonds, annoncé par N. Sarkozy en octobre 2008, est d'avoir d'abord été imaginé par un ex-premier ministre socialiste, L. Fabius. Cela ne rend pas nécessairement stupide le projet, mais les critiques, ou prétendus tels, ne se sont évidemment pas privés d'en déduire que les idées du président français, bonnes ou mauvaises d'ailleurs, étaient rarement originales.
La vraie question cependant, est celle-ci: un tel fonds est-il utile? Si la réponse est positive, une deuxième question s'ensuit: un tel fonds est-il possible, vu le contexte économique français actuel?

De l'utilité d'un fonds souverain français.
L'objectif global de ce fonds, tel du moins que je l'ai compris, est assez clair. Il s'agit de venir en aide aux entreprises françaises, et par là-même à l'économie française. En tant que français, il est évidemment difficile d'être en désaccord avec un tel objectif, que ce soit ou non le rôle traditionnel de l'etat, du moins si un tel objectif peut être atteint.
Mais les quelques précisions apportées semblent insuffisamment précises, et peut être m^me contradictoires. Ainsi dire qu'il faut soutenir 'massivement' les entreprises stratégiques demanderait, pour être compris, quelques exemples concrets. S'il s'agit de défendre les entreprises du CAC40, pourquoi ne pas le dire, même si cet objectif, certes préférable au renflouement systématique des banques, ne m'apparaît pas essentiel. Si c'est pour empêcher d'éventuels prédateurs, on peut restreindre le droit de vote des actionnaires étrangers, ce dont ne se privent ni la Chine, ni les USA quand cela les arrange.
Si c'est, par ailleurs, pour refaire le plan calcul, de triste mémoire, en 'soutenant' de façon analogue l'industrie des semi-conducteurs, ce serait encore pire. L'etat peut preter de l'argent, voire même devenir actionnaire, mais, de grâce, laissons aux véritables entrepreneurs le soin d'entreprendre/ il s'agit de les aider à entreprendre, pas d'entreprendre à leur place.
Si, à l'inverse, ce fonds souverain a pour mission essentielle d'aider les PME, les bassins d'emploi et les pôles de compétence et de compétivité à se développer dans des secteurs porteurs - tels le Développement Durable, les énergies renouvelables, le re-développement des territoires (qui peut pesser par le financement d'infrastructure routières et surtout ferroviaires, le haut débit numérique, voire des structures d'acceul touristique) - alors ce serait une très bonne nouvelle.

Un fonds souverain français est-il possible?
Les finances de la France ne sont évidemment pas au mieux, mais si l'objectif stratégique défini plus haut: aider les PME et les territoires à de développer dans des secteurs porteurs, et relativement protégés d'une concurrence frontale, on pourra toujours trouver l'argent nécessaire. N'oublions pas que la création monétaire a pour but d'aider l'économie à se développer 'raisonnablement'. Et je continue à penser qu'il est plus raisonnable d'aider directement les entreprises - et les ménages, mais ceci est une autre question - que de compter sur les banques - autres acteurs monétaires - pour cela. Toute création monétaire doit être justifiée, certes, mais quelle meilleure justification que de soutenir des industries ou des services d'avenir, plutôt que de subventionner des banques qui ont perdu toute crédibilité et toute mesure dans la crise des marchés financiers.

L'Etat peut-il, doit-il, sauver le liberalisme?

‘Libéralisme’, Capitalisme et ‘Laisser-faire’.
Dans un article récent, Jean-Marie Harribey, membre d'Attac, s’appuie sur les liens historiques existant entre capitalisme et libéralisme, et en appelle aux mânes des grands ancêtres, Marx et Keynes, pour affirmer que le libéralisme ne peut être sauvé de son péché originel, la recherche du profit.

Dans une interview accordée à l’Humanité, Maurice Allais, préfère distinguer le ‘libéralisme’ du ‘laisser-fairisme’, en justifiant ainsi son ‘NON’ de 2005 à la Constitution Européenne. C’est le ‘laisser-faire’ ambiant qu’il faut rejeter, et donc l’absence de toute régulation, ainsi que la propriété privée des moyens de production. Sur ce point Harribey et Allais rejoignent Proudhon ‘la propriété, c’est le vol’, Maurice Allais précisant que, même pour Proudhon, c’était la propriété privée des moyens de production qu’il fallait rejeter.

Faut-il modifier les ‘rapports de production’ ?
Keynes, et Allais, s’intéressent à l’amendement des rapports de production, qui passerait par la suppression des rentes non liées au travail, sans vouloir pour autant changer la nature humaine, ou les rapports sociaux. Pour ATTAC, le ‘libéralisme’ étant intrinsèquement pervers, il s’agit de développer systématiquement les droits des salariés et de diminuer leurs "devoirs" - en particulier leur temps de travail -, pour "enfoncer un coin dans les mécanismes du capitalisme" (en assimilant – à tort, je pense - capitalisme et libéralisme).

Nouvelle régulation, ou nouvel avatar de la lutte de classes.
Certes, la crise actuelle, comme toutes les crises, apporte davantage de souffrances aux pauvres et aux exclus du système qu'aux nantis et aux privilégiés. Et l'appel à la (re-)construction de nouveaux rapports humains est évidemment un objectif louable. Trois convictions m'empêchent cependant de partager les idées d'Attac et de m'associer à leur démarche de "lutte de classes", même revisitée.

Ma première conviction, c'est la dualité de l'esprit humain, son côté à la fois individualiste et social. L'altruisme, même s'il existe, n'est pas plus naturel chez les 'petits' que chez les 'puissants', l'égoïsme non plus, bien sûr. Ainsi, peu de gens sont prêts à renoncer spontanément à leurs avantages acquis, quels que soient l'importance de ces avantages.

Une deuxième conviction, philosophique elle aussi, porte sur le concept de propriété. Si l'on interroge les gens qui n'ont rien, leur priorité ne sera généralement pas de demander la suppression de la propriété, mais de réclamer une partie du 'pactole', possédé, à tort ou à raison, par les nantis. On peut souhaiter que l'appropriation des moyens de production soit faite différemment - la défunte URSS ayant montré que cette appropriation collective n'était pas nécessairement très efficace, ni très 'progressiste'- , c’est ce que suggère M. Allais, de façon plus ‘soft’ que le porte-parole d’Attac.On peut certes aussi tenter de faire évoluer ce besoin de posséder, le droit d'usage pouvant se substituer au droit de possession, mais nous en sommes encore bien loin…

Une dernière conviction, moins 'philosophique', porte sur le rôle des entrepreneurs. Autant je ne crois pas à ce que les manuels appellent "productivité apparente du capital" - ni d'ailleurs à la productivité apparente du travail- autant je crois au rôle fondamental, parfois négatif, mais très souvent positif, des entrepreneurs et des chefs d'entreprise, en particulier dans le cadre des PME ou des entreprises 'familiales'. Affirmer donc que dès qu'une entreprise génère un surplus (un profit potentiel), ce dernier doit être affecté, en tant que gain de productivité, aux salariés me semble bien naïf. Il ne s'agit pas non plus de confondre les actionnaires et les entrepreneurs, même si le capitalisme financier a donné de plus en plus de pouvoir aux premiers, au détriment des seconds. Je n'oublie pas non plus, bien sûr, le rôle des collaborateurs de l'entreprise, surtout dans le cadre d'entreprises de service, pour lesquelles les talents individuels peuvent difficilement être remplacés par des machines. On peut se poser des questions sur l'affectation des richesses produites par les entreprises, remettre parfois en cause telle ou telle fausse richesse, exiger que les externalités négatives - pollution, épuisement des ressources fossiles, exploitation éhontée de populations entières - mais nier le rôle positif de nombre de chefs d'entreprise relève d’une idéologie archaique.

Libéralisme et diversité.
La mode est actuellement à la diversité, une fausse diversité d'ailleurs, puisqu'au lieu de s'intéresser et de mettre en valeur les différences individuelles, on s'appuie sur une diversité communautaire et sur des quotas, en collant implicitement des étiquettes à telle ou telle catégorie d'individus. Sur le plan humain, c'est évidemment une erreur. Tous ceux qui ont travaillé en entreprise, ou animé une association, le savent bien. Les individus sont tous différents, la difficulté est de prendre en compte, le plus 'objectivement' possible, ces différences subjectives. Le véritable problème, au delà de toute idéologie, est là.
Comment prendre en compte l'individu, qui appartient nécessairement à plusieurs communautés - ethnique, comportementale, affective ... - à l'aide de règles nécessairement collectives. Cela dépasse bien sûr le cadre des entreprises, mais si le taylorisme n'est plus d'actualité dans celles-ci - puisqu'il s'agit maintenant de manager des différences, au lieu de gérer des ressemblances.

Individus, ou individualisme?

Comment donc intégrer la liberté individuelle, et les talents particuliers, dans un contexte sociétal, et donc collectif? Il n'y a pas de liberté(s) sans contraintes, et penser que le libéralisme économique repose sur l'absence de toute règle est une erreur, qui serait comique si elle n'était si tragique par ses conséquences. Une autre erreur, non moins tragique, étant de nier la liberté individuelle, en faisant de chaque individu un clone de tous ses congénères, à l'intérieur d'une même catégorie ou communauté. Un même sac pour "les banquiers", un autre pour les "ouvriers", un autre pour les "céréaliers", etc. Sur le plan réglementaire, on peut tenter de faire en sorte, bien sûr, que l'appartenance à telle ou telle catégorie ne soit pas un fardeau - ou au contraire un avantage - démesuré. Mais toute discrimination, même positive, liée à la seule appartenance à l'un ou l'autre de ces groupes, serait une erreur. Du moins, telle est ma conception du libéralisme: faire en sorte que l'appartenance à telle ou telle communauté ne se transforme jamais en étiquette, positive ou négative.

L’état régulateur ?
L'Etat a de nombreux rôles, en dehors de ses tâches régaliennes de base. Dans le cadre social et économique, il doit instituer un certain nombre de règles, plus ou moins contraignantes, mais qui ne doivent favoriser aucune catégorie d'individus. Ce n'est pas à l'Etat de décider de ce qu'il faut faire, en revanche il doit afficher ce qu'il ne faut pas faire, ce qui est interdit, et veiller à ce que ces interdits soient connus, et respectés. Il peut ainsi mettre des normes sociales, ou écologiques, ou financières, très strictes, plus fortes que celles érigées par l'Union européenne. Il peut interdire les parachutes dorés, les voitures polluantes (ce qui signifie que faire payer les pollueurs n'est pas une bonne idée, puisque cela favoriserait les 'riches', ceux qui peuvent payer, et donc qui achètent le droit de polluer). Il peut, par des mesures fiscales, plafonner les revenus, et a donc de nombreux moyens d'action. Mais l'Etat ne peut échapper à sa mission de régulateur. Ce n'est que sur l'étendue de sa mission de régulateur que l'on peut s'interroger.

En revanche l'Etat ne peut décider, à l'intérieur de ces contraintes, de la façon d'agir, sans s'en prendre aux libertés individuelles, qui, au delà du seul libéralisme, correspondent au fondement même de la nature humaine.

vendredi 7 novembre 2008

La crise est la: trop tard pour agir?

Les prévisions pessimistes sur la situation économique en général et la situation française en particulier se succèdent semaine après semaine, et semblent même encore s'accélérer, après un léger moratoire aux alentours du 4 novembre, date de l'élection de Barak Obama. Après s'être focalisé sur la bourse et l'évolution des marchés financiers, on en vient, hélas, à ce qui devrait réellement préoccuper monsieur tout le monde, vous et moi, à savoir la crise de l'économie réelle, concrète, celle que l'on peut toucher.
Après avoir esquissé dans mes précédents billets le rôle - les rôles pourrait-on dire - de la monnaie dans une économie moderne, et par conséquent le rôle des banques, en tant qu'importants créateurs - et destructeurs - de monnaie 'fiduciaire', j'en étais venu à mentionner, à travers diverses allégories, ou fables - telles la "Dame de Condé" - l'éventualité d'une société sans banques, ou plus exactement sans monnaie 'centrale'.

Du mystère de la monnaie au rôle régulateur de l’Etat.
La monnaie, chose à la fois insignifiante (J.S. Mill : « Il n’est pas dans l’économie d’une société quelque chose de plus insignifiant en elle-même que la monnaie ») et fondamentale, s’entoure depuis longtemps d’un mystère (K. Marx, citant Lord Gladstone : « L’amour lui-même n’a pas fait perdre la tête à plus de gens que les ruminations sur l’essence de la monnaie ») derrière lequel aiment se cacher ses ‘experts’.
Milton Friedman, le ‘pape’ du monétarisme, allait jusqu’à dire, il y a une quarantaine d’années, qu’il fallait « faire voter un ensemble de règles rigides, limitant par avance la marge d’initiatives dont peuvent disposer les autorités monétaires », sans doute pour éviter aux autorités de tutelle de « faire des bêtises » anti-libérales. Et on touche bien là au problème de fonds d’une éventuelle régulation étatique: l’Etat doit-il s’effacer en mode ‘normal’, pour réagir, au risque de ‘sur-réagir’, en situation de crise ? Nous reviendrons sur ce point dans un autre billet, sans imaginer avoir LA réponse à cette question fondamentale.

Pour une monnaie ‘non bancaire’ ?
Pour un revenir à un monde ‘non monétaire’, et en raisonnant par l'absurde, j'avais envisagé un système où les banques étant défaillantes dans leur rôle premier - celui d'être au service de l'économie, donc à celui des entreprises et des ménages - les 'acteurs économiques' se substituaient à elles pour mettre du lubrifiant - leur propre monnaie - dans les rouages du circuit économique.
Loin d'être une idée aussi absurde que cela paraisse (idée déjà envisagée en son temps par Hayek, Rueff et plus près de nous M. Allais) - je n'envisage évidemment nullement ici une économie de troc - cette hypothèse mériterait sans doute d’être creusée bien plus que ce qui peut être écrit en quelques lignes ici.

La crise est bien là, une crise de sous-production.
Partons de la situation concrète telle qu’elle se présente à nous, particulièrement en France. Que voit-on ?
Des capacités de production inutilisées (en particulier dans le secteur automobile et dans le B.T.P., ainsi que dans l’hôtellerie), des investissements en berne au niveau des infrastructures – en particulier dans le domaine ferroviaire (ferroutage plus précisément) – des PME rentables mais en court de trésorerie, d’autres PME, plus nombreuses hélas, au bord de la faillite du fait d’un manque de demande solvable de la part d’éventuels consommateurs, une balance commerciale de plus en plus largement déficitaire, sans même parler du déficit structurel de l’Etat. Ajoutons à tout cela, conséquence directe ou effet induit, un chômage en train de remonter. Voilà l’état de l’économie réelle.
Face à cela, une économie symbolique et un marché monétaire déboussolés, des banques toujours plus frileuses, un marché financier en déroute, des spéculateurs se cramponnant tant bien que mal à leur rêves de splendeur passée, certains encore accrochés aux suspentes de leurs parachutes dorés.

Peut-on relancer la machine économique ?
La seule question qui devrait donc se poser est celle-ci : dès lors qu’il y a des besoins inassouvis et des capacités de production inutilisées, en équipements comme en hommes, peut-on relancer la machine économique ?
Pour les nostalgiques de l’histoire, cette situation est évidemment très comparable à celle de 1929-1933, aux ‘progrès’ de la mondialisation près.
Si on laissait parler le bon sens populaire, et, plus encore, si on daignait l’écouter, la réponse serait évidente. Oui, on peut le faire.

Qu’est ce donc qui empêche que cette réponse d’apparent bon sens soit entendue, et mise en œuvre, au lieu de continuer à se lamenter sur des prévisions de ‘croissance négative’ – magie des mots, pour éviter de parler de récession, de la même façon sans doute que l’on a longtemps parlé de ‘tournante’, plutôt que de ‘viol collectif’.

Si nous parlions d’externalités et de développement durable ?
Refaire marcher nos usines signifie évidemment de s’intéresser à leurs sources d’énergie. Il est évident que les fluctuations du pétrole n’aident pas à faire des ‘business plans’ crédibles. Mais en dehors même de ces fluctuations, chacun sait bien que les ressources minérales sont en voie d’épuisement, à l’horizon d’une, deux, voire trois générations, quel que soit le coût affiché de des ressources, il finira par être infini, lorsque la dernière goutte de pétrole aura été extraite du sous-sol de notre terre.

Grenelle de l’environnement ou pas, il est donc grand temps de faire comme si toutes les ressources fossiles étaient en voie d’extinction. Et donc de consacrer l’essentiel de nos investissements en recherche et développement à l’étude d’autres sources énergétiques, renouvelables (biomasse ?) ou inépuisables (vent, soleil ?). Même les recherches dans le domaine de la santé devraient céder le pas à ce type de recherche.
Si notre monde s’auto-détruit, ou n’est plus capable de subvenir aux besoins de sa population, le fait de s’intéresser à la santé des malades, voire de prolonger la vie de quelques privilégiés est évidemment stupide. Ce n’est pas faire passer la nature avant l’homme, comme certains écologistes sont parfois tentés de le faire, c’est simplement, là encore, du bon sens. Soigner le cancer, c’est bien, éviter que la pollution n’augmente sa survenue, c’est sans doute mieux.

Plusieurs mesures peuvent s’inscrire dans cette voie, en dehors même d’intentions publiques clairement affichées, du genre plus d’usines propres et non gourmandes en énergie, moins de dépenses militaires inutiles si le monde court à sa perte, comme par exemple le financement d’un deuxième porte-avions, pas très utile contre le terrorisme ou les flux migratoires déclenchés pour une bonne part par une misère sordide.
La France n’a plus les moyens d’être une grande puissance militaire, elle peut sans doute redevenir une grande puissance morale, en particulier si elle s’inscrit dans la seule voie réaliste à terme, celle d’une nation respectueuse de l’environnement des hommes.
La fonction de médiateur de la république vient d’être créé pour ‘surveiller les banques’, avec l’aide, nolen volens, des préfets. Si ce médiateur avait déjà pour mission de pousser les banques à aider systématiquement toutes les entreprises et organisations travaillant dans le développement durable, ainsi que les usines et manufactures s’engageant dans des processus de fabrication économes en énergie fossile, ce serait là encore une bonne indication sur la volonté du gouvernement à s’engager sur la bonne voie.
Keynes, un des seuls économistes du vingtième siècle à se méfier de l’idéologie, la sienne et celle des autres, était conscient que la relance de l’économie passait par des subterfuges, pour lutter en particulier contre ce qu’il appelait « la trappe à liquidités », lorsque l’argent reste dans des bas de laine plutôt que de permettre le financement ‘normal’ de l’économie.
Lorsque le mirage des placements « pharamineux » s’éloigne, la tendance naturelle est de redevenir Harpagon, d’où son fameux appel à de grands travaux, tels les Ateliers Nationaux du 19ème siècle en France. Quitte à payer des gens à ne rien faire – creuser des trous et les reboucher, ou se lancer dans des guerres à effet destructif garanti – autant les payer à faire des choses utiles.

Il serait donc de la responsabilité de l’Etat, à côté d’une fusion sans doute nécessaire de l’ANPE et des ASSEDIC, de développer des projets de développement durable – économes en énergie, voire créateurs d’énergie renouvelable – pour lesquels des compétences existeraient, ou seraient développés en France. A côté de cela, relancer la construction, sans doute en habitat dense et non en maisons individuelles, là encore avec des matériaux et des procédés économes en énergie, serait évidemment une voie à suivre. L’état peut aussi inciter vivement les banques à financer ce type de travaux, par des prêts à taux indexé à la fois sur la croissance et l’inflation, soit 2,5% en 2009 (1/2 % de croissance et 2% d’inflation, hypothèse basse, mais réaliste si ces mesures de relance sont prises rapidement).

Comment financer tout cela ?
La garantie de l’Etat : 360 milliards pour les banques, pourrait fort bien s’orienter directement pour moitié vers l’ensemble des projets esquissés plus haut, donc vers des entreprises de l’économie réelle, et non symbolique. Par ailleurs, la relance de l’économie, et le passage de 0,5% de croissance à 1% de croissance (dans le développement durable, avec économies d’énergies, et donc de devises, à la clef) pourrait aussi booster les rentrées fiscales de l’Etat. Enfin, une impulsion donnée au secteur automobile dans la recherche de véhicules et d’utilitaires plus propres et moins énergivores pourrait permettre à ce secteur de se revigorer, et lui éviter ainsi des plans de licenciement massifs.

Dernière mesure enfin. Indiquer clairement aux banques que si elles persévèrent dans leur refus de financer l’économie réelle dans les directions souhaitées par l’Etat, elles s’exposent à ne plus être partie prenante dans le circuit économique, et en premier lieu dans le mécanisme de création monétaire, qui peut leur être facilement enlevé en modifiant les ratios auxquelles elles sont tenues, quitte à faire plus largement appel à des crédits inter-entreprises qu’il faudrait donc développer davantage.
Sans parler bien sûr de méthodes encore plus radicales interdisant à l'ensemble des établissements financiers les ventes ou achats à découverts d’instruments financiers, bien loin actuellement de remplir leur objectif premier, qui était de protéger les entreprises de risques non industriels concernant la variation du cours des matières premières ou des taux de change.

vendredi 31 octobre 2008

Crise economique et crise boursiere: de la confiance a la mefiance

Dans un billet précédent, je m'étais appuyé sur la fable de la dame de Condé, un peu modifiée, pour mettre en valeur le rôle positif de la confiance en économie 'réelle'. Aujourd'hui , je ne peux résister au plaisir de reprendre l'historiette suivante, qui m'a été envoyée par Didier Saint-Gaudin. Nous verrons ensuite la 'morale' de cette histoire.

Dans un village, un homme apparut et annonça aux villageois qu'il achèterait des singes pour 10 € chacun.

Les villageois, sachant qu'il y avait des singes dans la région, partirent dans la forêt et commencèrent à attraper les singes. L'homme en acheta des centaines à 10 € pièce et comme la population de singes diminuait, les villageois arrêtèrent leurs efforts.


Alors, l'homme annonça qu'il achetait désormais les singes à 15 €. Les villageois recommencèrent à chasser les singes.

Mais bientôt le stock s'épuisa et les habitants du village retournèrent à leurs occupations. L'offre monta à 20 € et la population de singes devient si petite qu'il devint rare de voir un singe, encore moins en attraper un.

L'homme annonça alors qu'il achèterait les singes 50 € chacun. Cependant, comme il devait aller en ville pour affaires, son assistant s'occuperait des achats.


L'homme étant parti, son assistant rassembla les villageois et leur dit : «Regardez ces cages avec tous ces singes que l'homme vous a achetés. Je vous les vends 35 € pièce et lorsqu'il reviendra, vous pourrez les lui vendre à 50 €. »

Les villageois réunirent tout l'argent qu'ils avaient, certains vendirent tout ce qu'ils possédaient, et achetèrent tous les singes. La nuit venue, l'assistant disparut.

On ne le revit jamais, ni lui ni son patron ; on ne vit plus que des singes qui couraient dans tous les sens.

Confiance et méfiance: les deux 'mamelles' d'une économie monétarisée.
Comme le lecteur l'a sûrement déjà entrevu, cette histoire, qui pourrait s'intituler 'la Bourse pour les Nuls', illustre tout d'abord le fait que si en Bourse, on achète et l'on vend sur des anticipations de valeurs actuelles, et plus encore futures, ces valeurs ne sont jamais sûres.
L'histoire repose aussi aussi sur un mécanisme à la limite du délit d'initié : acheter à 35 € pour revendre à 50€, de façon à peu près sûre (ou que l'on croit telle).
Le fait que l'assistant et les villageois soient tous complices de cette malhonnêteté (ou que l'on croit telle) aux dépens du patron n'est qu'un épiphénomène, illustrant le vieil adage 'tel est pris qui croyait prendre'.
Bien entendu, l'homme et son assistant ont joué sur la cupidité des villageois pour monter cette escroquerie.
Que reste t-il enfin aux villageois: des actifs 'toxiques', ou 'pourris': les singes, qui ne valent plus que ce que d'éventuels acheteurs sont prêts à payer.

Retour à l'économie réelle.
Certes, on ne reprendra sans doute plus les villageois à de tels comportements. Mais c'est là que l'on retrouve l'économie réelle. Aller à la chasse des singes n'était nullement répréhensible - à quelques arguments écologiques près - . Et les villageois auraient pu s'arrêter lorsque le dernier singe avait disparu. Mais, en sortant de l'économie réelle, et en allant spéculer en bourse, en pensant ainsi gagner davantage, ils ont tout perdu, et la méfiance qu'ils vont maintenant avoir vis à vis de la bourse risque de se reporter sur l'économie réelle elle-même.

Histoire sans fondements diront certains: ce matin, j'entendais encore à la radio les fortunes (250 milliards d'euros) qu'avaient perdu des oligarques russes, rois du pétrole ou de l'aluminium, en transformant leurs richesses réelles en actifs 'toxiques' - ce qu'ils ne savaient pas à l'époque bien sûr. Faire confiance à l'économie réelle, certes, mais quand on ne fait plus confiance aux banques et à ceux qui sont censés les gouverner, ce n'est pas simple.

La morale de la morale: ne jouez pas en bourse, comptez plutôt sur vos propres ressources, celles de votre travail, passé, présent ou à venir. Si vous avez des économies, et si vous voulez à tout prix placer votre épargne, visez plutôt les obligations et bons du trésor, voire dans le livret A, c'est plus sûr. Une rentabilité de 4% (2% en termes réels), cela ne fait pas fantasmer, mais vous ne volez rien à personne, puisqu'une telle rentabilité est simplement adossée, bon an mal an, à la croissance de l'économie réelle.

Attention aux mirages de la Bourse:
Si cela ne vous suffit pas, sachez que en cherchant une plus grande rentabilité - dans rentabilité, il y a 'rente', donc 'rentiers'- vous contribuez vous-même aux bulles spéculatives pour lesquelles vous chercherez tôt ou tard des boucs émissaires - sport dans lequel la société Générale et la CNCE sont passés maîtres-, alors même que vous en ferez partie.

mardi 28 octobre 2008

Les experts n'y comprennent plus rien

Quelle outrecuidance!
Les experts ou prétendus tels, devant les soubresauts des marchés financiers, affirment doctement qu'on ne plus rien comprendre au fonctionnement actuel des marchés. Ce qui signifie, en fait, qu'eux, les experts, ne comprenant rien, ou ne voulant pas comprendre, il s'ensuit nécessairement que personne ne peut comprendre.

Les économistes et les financiers se sont déconsidérés eux-mêmes.
Ce sont pourtant les mêmes qui continuent à donner au 'petit peuple', sur tous les medias, des leçons d'économie. Ils n'ont même pas l'élémentaire bon sens de voir qu'en se faisant ils se tirent une balle dans le pied, en se décrédibilisant complètement. Ce ne serait pas si grave s'ils ne déconsidéraient pas, par là-même, l'économie concrète. On peut sans doute se passer d'économistes, voire oublier la plupart des prétendus lois de la science économique - qui n'est pas vraiment une science - mais nous avons besoin d'une économie concrète, réelle, qui fonctionne.

C'est quoi, une économie qui fonctionne?
Une première loi de bon sens. Quelque soit son contexte socio-politique, aucun système économique ne peut fonctionner si la production des biens et services consomme plus de ressources qu'elle n'en dégage.
Cela étant dit, le problème consiste à évaluer à la fois les ressources consommées et la richesse produite. Il s'agit ainsi, par exemple, de comparer des ressources fossiles (charbon, fer, petrole) à des produitrs manufacturés (automobiles, textiles). Pour faire cela, on est bien obligé de 'convertir' en bien étalon - la marchandise-étalon de Sraffa, plus concrètement en euros ou dollars ou yens - les ressources et les richesses produites.
Quand les différents marchés sont à peu près stables, cela ne pose pas un énorme problème.
En revanche, quand le baril de pétrole peut varier de 50% en quelques semaines, et l'euro contre dollar perdre 25% de sa valeur, on comprend bien la difficulté de la chose.

Les entreprises, et donc l'économie 'réelle', peuvent certes se couvrir 'à terme' contre de tels risques, avec l'aide d'intermédiaires financiers spécialisés dans ce domaine, qui assurent ainsi les entreprises contre de tels risques.

Des pompiers pyromanes, ou des assureurs spéculateurs.
Là où cela se complique, c'est quand les intermédiaires financiers, au lieu de jouer leur rôle d'assureurs économiques, et donc d'amortisseurs éventuels de fluctuations de changes ou de prix de matières premières, se transforment en spéculateurs.
Au lieu de tenter d'amortir ces chocs, ils vont jouer sur la volatilité de ces chocs- donc profiter d'une plus grande variation - en utilisant pour cela toute une panoplie d'instruments financiers, tous plus sophistiqués les uns que les autres.
Le seul trait commun de ces instruments est qu'ils sont - ou étaient - censés 'garantir' une rentabilité de 12 à 15%, alors même que l'économie réelle se traînait péniblement autour d'une croissance de 2 à 3%, en dehors de l'économie des pays comme l'Inde ou la Chine, pays dans lesquels les placements américains se sont fortement investis.

Une deuxième loi économique.
Nous en arrivons alors à notre deuxième loi, elle aussi de bon sens.
L'économie 'symbolique', celle des banques et des marchés financiers, ne peut croître durablement beaucoup plus vite que l'économie réelle. Certes le partage salaires-profits, ou salaires-rentes, peut évoluer en faveur des rentes, mais même cela a une limite.
Le corollaire de cette loi, c'est que lorsque le taux de rentabilité exigé par les investisseurs est 2 à 3 fois supérieur au taux de croissance de l'économie réelle, le système tout entier, symbolique et réel, ne peut que se dérégler, c'est que nous voyons en ce moment.

Que faudrait-il donc faire?
Ce diagnostic, somme toute de bon sens, étant fait, y a t-il des solutions?
Dans un système non totalitaire, on ne peut éviter les spéculateurs et la spéculation. On peut cependant éviter d'encourager ceux-ci, et d'alimenter celle-la, par exemple en empêchant les institutions financières d'être à la fois incendiaires et pompiers. D'où une séparation très nette qui devrait être imposée entre les banques de dépôts et tous les autres établissements financiers, la création monétaire étant systématiquement sous le contrôle explicite, direct ou indirect, d'une autorité 'régalienne', en principe au service de tous et non de quelques uns.

On peut ensuite encourager et développer les crédits inter-entreprises, lorsque les banques faillissent à leur rôle d'accompagnateurs éclairés de la vie et de la croissance des entreprises. On peut enfin interdire les taux usuraires pour les prêts, un taux 'usuraire' étant un taux trop éloigné de la croissance anticipée pour l'économie réelle. C'est ainsi que si l'on anticipe une croissance de 2%, et une inflation de 3%, ce qui correspond à un taux de base 'réel' de 5%, aucun prêt ne devrait être supérieur à 8 ou 10%, alorsque les taux actuels des prêts à la consommation peuvent aller jusqu'à 20%, ce qui n'est pas le plus sûr moyen de relancer la consommation, encore moins l'économie réelle.

Du role des banques a celui de la monnaie

Tout système économique repose sur la confiance, 'administrée' ou non, qui relie ses différents acteurs, comme la fable de la "Dame de Condé" l'illustre abondamment.
Dans cette fable, 5 artisans ou entrepreneurs individuels se doivent l'un à l'autre 100 euros, mais, problème de liquidité, aucun artisan ne dispose de cette somme.
Il faut alors un évènement extérieur, une "Dame de petite vertu" - tout rapprochement avec une banque existante serait évidemment infondé - qui vient retenir une chambre pour 100 euros auprès d'un de ces artisans, un aubergiste, pour que le cycle des dettes successives - des crédits fournisseurs en fait- se dénoue. L'aubergiste paye l'artisan n°2, qui lui même paye l'entrepreneur n°3, qui paye le numéro 4, qui paye lui-même le n°5, qui lui-même peut enfin rembourser l'aubergiste, le n°1, à qui il devait 100 euros.

De la création à la destruction de monnaie.
L'apport de monnaie - que l'on peut assimiler à de la création de monnaie 'ex nihilo' (dans l'histoire on apprend que la Dame avait utilisé un faux billet, ce qui n'a pas véritablement d'importance) - de 100 euros a permis d'éteindre 500 euros de dettes mutuelles.
On peut alors supprimer ce billet de 100 euros: la Dame de Condé le brûle en affirmant qu'il est faux - ce que les banquiers appellent 'destruction de monnaie', que cette monnaie ait été réelle ou 'virtuelle' - pour appuyer le trait.
La confiance, même provisoire, que les différents artisans ont mis dans le billet de 100 euros qui 'circulait' ainsi de mains en mains, a permis d'éteindre les dettes mutuelles.
On pourrait rapprocher cette fable de la garantie bancaire que le gouvernement français a accordé aux différentes banques de notre pays, la 'petite' différence étant qu'apparemment ces banques se font moins confiance entre elles que les artisans-entrepreneurs de notre fable.

Liquidité et solvabilité.
Des esprits chagrins, au vu de cette fable, pourraient critiquer la morale sous-jacente en disant que la circulation de ce billet supplémentaire n'a en rien amélioré la situation économique des artisans de Condé. Aucun bien ou service supplémentaire n'a été produit ou délivré, les artisans ont simplement éteint une dette - crédit fournisseur - qui était comptablement équilibrée par un actif - compte client.
Celui qui n'a jamais travaillé en entreprise et qui n'a jamais été confronté à des problèmes de trésorerie pensera peut être que dès lors qu'un bilan est équilibré (c'est évidemment toujours le cas, par construction), il n'est pas très important d'avoir un crédit fournisseur important, dès lors que les créances client le compensent.
Dans la vie réelle, il en va cependant très différemment. Il suffit de penser aux actifs 'toxiques' des banques, évalués à plusieurs milliards de dollars, et qui ne valent plus, après la chute des marchés de l'immobilier, que 30 à 40% de leur valeur anticipée, pour comprendre que ce n'est pas la même chose.
Peu importe cependant, acceptons cette critique qui assimilerait la fable de la Dame de Condé à un simple jeu d'écriture (ce qui est en fait le fondement de la création monétaire) et transformons cette fable en y introduisant une véritable production.
Il aurait pu suffire pour cela de changer les données de la 'Dame de Condé' en supposant qu'au lieu de dettes de 100 euros, chaque artisan allait entreprendre une production évaluée chacune à 100 euros. Voulant être créatif, nous allons cependant inventer une autre petite histoire, et nous appellerons cette fable le 'Sieur de Laroque'.

Le sieur de Laroque.
Dans un petit bourg, Laroque des Albères, un Hollandais inconnu, M. Batave, se présente auprès d'un entrepreneur, M. Gazzoli, et lui commande la construction d'un mas évalué à 200 000 euros. M. Gazzoli va faire appel à un certain nombre de corps de métier, en supposant ici qu'aucun artisan concerné ne va faire de marge, mais va travailler 'à prix coûtant', pour simplifier l'historiette.
M. Gazzoli va ainsi acheter pour 100 000 euros de matériaux à M. Materiel, et va recruter 5 compagnons, pour la durée du chantier, qu'il va payer chacun 20 000 euros.Ces cinq compagnons vont eux même chacun acheter une voiture, une Logan, pour 10 000 euros, le reste des 10000 euros finissant dans les caisses du supermarché local.Le concessionnaire automobile, M. Garage, va lui-même transformer ces 50000 euros en extension de son garage, 30 000 euros pour M. Gazzoli, et 20 000 euros pour M.Materiel, qui va cette fois dépenser cette somme au supermarché local
Ainsi, les 200 000 euros initiaux ont fait des petits, 100 000 euros pour M. Materiel (on suppose que cet argent n'est pas dépensé, mais on aurait pu continuer l'histoire ad infinitum) plus 70 000 euros (50 000 + 20 000) pour M. Supermarché, plus 30 000 euros à nouveau pour M. Gazzoli, plus enfin 20 000 euros pour M. Materiel, soit 280 000 euros.
En ce qui concerne la circulation monétaire, plus d'argent encore a circulé, si l'on prend en compte toutes les occasions où de l'argent, virtuel ou réel, a changé de main (la somme des flux se monte ici à 370000 euros)

D'où vient l'argent?
Supposons que notre hollandais ait eu 200 000 euros d'épargne. Cette épargne s'est transformée en un actif immobilier estimé lui aussi (prix coûtant) à 200 000 euros.
La richesse de M. Batave n'a donc pas changé,(elle est simplement moins 'liquide') mais son investissement a augmenté le PIB de Laroque de l'équivalent de 5 voitures (50 000 euros), 130 000 euros d'épargne (M. Materiel et M. Gazzoli), une extension de garage (30 000 euros) et enfin d'une consommation de 70 000 euros (M. Supermarché), soit un total de : 280 000 euros.
Si M. Batave av ait du emprunter ces 200 000 euros auprès d'une banque, sans intérêt, et sans garantie, la banque aurait injecté 200 000 euros dans l'économie locale de Laroque, ce qui aurait contribué à une augmentation nette du PIB de 280 000 euros, plus les 200 000 euros du mas de M. Batave, qu'elle aurait pu garder en garantie si M. Batave n'avait pu rembourser son prêt. Si un certain taux, 10% avait du être prélevé, on peut penser que la municipalité de Laroque aurait volontiers remboursé les 5% de 200 000 euros, soit 10 000 euros, son PIB local ayant augmenté de 280000 euros.
En d'autres termes, la simple injection - création monétaire réelle, ou simple transfert d'épargne - d'une somme de 200 000 euros apermis à notre village de faire fonctionner sans problème son économie réelle.

Economie monétaire ou économie de troc.
Les deux histoires précédentes montrent à l'évidence que ce n'est pas la banque le plus important, mais la monnaie, ou plus exactement le rôle de moyen de paiement qui est associé à la monnaie. Devant une liasse de billets - liasse virtuelle ou réelle - du seul fait que les différents acteurs jugent crédible sa valeur, le circuit économique fonctionnera nécessairement. Nul n'est besoin d'une banque pour cela, la garantie d'une autorité tutélaire suffit pour cela.

Peut-on aller plus loin, et se passer de monnaie 'tutélaire'. Dans certains cas, des traites entre fournisseurs peuvent suffire. C'est ainsi qu'à Condé, les différents artisans auraient pu s'échanger leurs créances et éteindre ainsi leurs dettes. Mais c'est évidemment moins commode que d'échanger des billets ou des chèques, les compensations entre dettes se faisant plus vite et plus élégamment, sans avoir besoin de rechercher l'artisan qui a exactement la dette qui couvre rigoureusement votre propre crédit, et inversement. C'est pour cela que, même sans banque, la monnaie est indispensable, et qu'une économie de troc sera toujours moins efficace. Cela ne signifie nullement, bien sûr, que ce doive être l'état, ou l'europe, qui gère cette monnaie 'fiduciaire', c'est à dire une monnaie en laquelle on peut avoir confiance. Mais ceci est une autre histoire.

vendredi 24 octobre 2008

Economie 'virtuelle', economie 'reelle'

Nous y voilà enfin. Les soubresauts des marchés financiers, qui ne s'atténuent guère de puis 15 jours, tout en oscillant autour d'un point bas (3200 pour l'indice du CAC 40), ont fini par montrer que le roi était nu. Le roi, celui de l'économie réelle, roi qui est le seul à pouvoir 'nourrir ses sujets', vous et moi.

L'économie réelle va mal.
Oui, l'économie réelle, du moins en Occident et en Amérique du Nord, va mal.
La crise des subprimes n'a évidemment rien arrangé, même si elle a remis au goût du jour le fait que le fondement de la richesse d'une nation n'était ni les gains spéculatifs obtenus sur les marchés financiers, ni l'intérêt d'emprunts accordés parfois sur des garanties ou à des taux proches de l'usure. Le fondement de la 'richesse des nations' repose bien sur la qualité - et la quantité - des productions de biens et services, donc, en définitive, sur la qualité - et la quantité - du travail, direct et indirect, d'une nation.

A quoi servent les banques?
Certains grands économistes - il en existe encore -, je pense en particulier à Keynes, J. Robinson, plus encore peut être à notre seul prix Nobel, M. Allais - pour un article rédigé en 1998 - se sont penchés sur les 'services' que l'on devrait pouvoir attendre des banques, et que nous n'avons pas toujours.
Ils ont ainsi depuis longtemps mis l'accent sur ce qui devrait être un fonctionnement 'normal' des marchés monétaires et financiers, lesquels devant être au service de l'économie, et non à leur propre service.
M. Allais - qui passe pourtant pour un théoricien ultra-libéral - a même suggéré que l'on interdise aux banques toute création monétaire, l'économie d'endettement - on ne prête qu'en fonction des dépôts que l'on a - étant beaucoup moins risquée, et donc plus fiable, qu'une économie monéto-financière, où l'on prête à tout va, en fonction de perspectives d'avenir et de rentabilité future beaucoup plus délicates à évaluer.

Le pouvoir régalien de battre monnaie.
Dit autrement, seul l'état aurait le pouvoir 'régalien' de 'battre monnaie', c'est à dire de faire de la création monétaire. En poussant à peine le trait, cela signifie que M. Allais, tout libéral qu'il puisse être, considère que si le marché doit être tout puissant pour la quasi-unanimité des domaines et secteurs de l'activité économique, il ne devrait pas exister en ce qui concerne la monnaie, voire même l'intermédiation financière.

Creation de monnaie et refondation du capitalisme.
En allant encore un peu plus loin, ne serait-ce pas dans cette direction, celle d'une nationalisation virtuelle, ou réelle, de la partie 'création de monnaie' par les banques, que l'on pourrait aborder ce dont en parle de plus en plus, à savoir la 'refondation du capitalisme'.
De fait, l'homme de la rue, dont le bon sens est parfois plus grand que celui de nos fameux argentiers et experts, a du mal à accepter que l'on mette 360 milliards dans la cagnote des banques, et que l'on ne trouve pas un ou deux misérables petits milliards pour le RSA, et quelques milliards de plus pour la Sécurité Sociale.

Certes, comme je l'ai écrit précédemment, ce n'est pas la même chose. Dans le premier cas, c'est un prêt, garanti en principe sur un remboursement futur. Dans le deuxième cas, ce serait un don.
Il n'en est pas moins vrai que, si l'on revient à l'économie réelle, il peut apparaître plus judicieux de prêter à des entreprises que prêter à des banques. C'est le rôle des banques diront certains grincheux ainsi que la majorité des experts.
Certes, mais les banques ayant failli, à la fois individuellement et collectivement, faut-il leur faire à nouveau confiance, ou ne serait-il pas grand temps de changer une équipe qui perd.
Cela aurait un double mérite: montrer au citoyen ordinaire que les 'riches' ne sont pas au dessus du lot commun, et que s'ils prennent des risques - avec l'argent des autres - ils ne doivent pas s'attendre à être 'sauvé', s'ils ont perdu leur pari. Combien de patrons de PME, qui ont pris eux des risques avec leur propre argent, se retrouvent au bord de la faillite du fait d'une mauvais gestion de leurs banquiers: est-ce juste que ce soit eux qui payent les pots cassés. Là encore l'homme de la rue, le citoyen ordinaire, le salarié lambda, ne le pensent pas.

Soutenons les entreprises, pas les banques.
Si l'on veut donc réconcilier le citoyen ordinaire avec l'économie, il est peut être temps de montrer que la réalité ordinaire, celle de l'économie concrète - et pas uniquement virtuelle ou symbolique - touche aussi les puissants de ce monde.

Cela ne résoudra évidemment pas tous les problèmes. Mais le seul fait de trouver des ressources pour ceux qui jouent un rôle direct, concret, tangible, dans l'économie - à savoir les entreprises industrielles et de service, voire un certain nombre d'administrations ou d'organisations publiques au rôle clairement identifié - ne peut que redonner une certaine confiance à l'homme de la rue, à vous, à moi. Et lorsque l'on sait le rôle que la confiance joue en économie...

De la cohérence et de la pédagogie.
L'economie a soif de cohérence, elle va mal lorsqu'il n'y en a pas. Cette cohérence n'esixte pas toujours dans les décisions qui se succèdent au niveau gouvernemental depuis des semaines, et lorsque cette cohérence y est, la pédagogie pour l'expliciter y est trop rarement. Le renflouement des banques n'était pas forcément une bonne idée, à moins d'expliciter davantage le rôle des banques dans le fonctionnement de l'économie réelle - rôle que l'on peut d'ailleurs remettre en question, si l'on s'oriente véritablement vers une refondation du capitalisme. Les conséquences économiques du 'Grenelle de l'Environnement' sur le marché de l'automobile étaient elles aussi évidentes.
Si l'on veut la mort à petit feu de l'automobile 'sale' sans que cela ne conduise à des licenciements massifs chez PSA ou chez Renault, il faudrait peut être songer à aider les constructeurs français à se reconvertir vers le transport en commun - minibus - et vers des véhicules 'propres'. On en est bien loin.

jeudi 16 octobre 2008

Faut-il preter aux pauvres? si oui, a quel taux?

Dans un précédent billet, j’avais écrit que prêter aux riches était plus aisé – au moins pour les financiers et les banques – que de prêter aux pauvres, un tel prêt s’apparentant plus à un don qu’à une action commerciale ‘normale’. J’avais pris comme exemple les 320 milliards ‘garantis’ par l’état français « le prêt aux riches » , et le milliard pour le RSA, le « don aux pauvres ».

Par ailleurs, dans un autre texte, je prétendais qu’une mesure cruciale d’accompagnement à l’économie réelle – aux PME comme aux consommateurs – consisterait à diminuer les taux officiels d’usure (taux de découvert aux entreprises comme taux de crédit à la consommation) à un niveau nettement inférieur. Dans les conditions actuelles, alors que le taux directeur de base de la BCE est de 3,75%, je proposais 9% contre 13% pour le découvert, 11% contre 18% pour les prêts à la consommation.

Mon argument était le suivant. Prêter à un taux très important à des personnes ou des entreprises ayant des problèmes de trésorerie – on parlerait dans le système bancaire de problèmes de liquidité – ne me semblait pas être un moyen efficace pour le prêteur de rentrer dans ses fonds, en dehors même de tout problème éthique consistant à ponctionner davantage les ‘pauvres’ que les ‘riches’.

On peut certes m’opposer un contre-argument, celui de la solvabilité des emprunteurs.

Dans le cas d’une entreprise, une PME peut avoir des problèmes de trésorerie – alors que son bilan, qui mesure en quelque sorte sa solvabilité à moyen terme, peut être excellent. Donc le fait ne diminuer le taux de découvert peut ne pas poser de problèmes ‘existentiels’ au prêteur, qui est à peu près sûr de rentrer dans ses fonds.

En revanche, dans le cas d’un prêt à un particulier, il en va peut être tout autrement. Il est beaucoup plus difficile pour un éventuel prêteur de connaître la véritable situation de solvabilité du candidat emprunteur. Il peut certes connaître ses revenus mensuels, quant à son niveau réel d’endettement, dès lors que le candidat au prêt a plusieurs comptes dans différentes banques, c’est beaucoup plus difficile, sauf en cas d’inscription à la banque de France pour incidents multiples de paiement.

D’où la tendance des banques ou des organismes de crédit à la consommation de ‘surtaxer’ les prêts aux particuliers à la solvabilité, actuelle et future, douteuse. En dehors de se ‘couvrir’ face au risque de traiter avec des ‘insolvables’ potentiels, ces organismes peuvent même prétendre rendre service aux candidats emprunteurs en leur montrant qu’à de tels taux ils feraient mieux de ne pas emprunter, car il y a de grandes chances – ou malchances – qu’ils ne puissent jamais rembourser.

D’où le titre de ce billet : faut-il prêter aux pauvres, et si oui, à quel taux.

Tout prêt est un pari.
En fait, là encore c’est tout à la fois un problème d’anticipation et une question d’ordre social et politique. Tout prêt est un ‘pari’, en règle général sur l’avenir, sauf lorsque vous demandez des garanties concrètes sur des biens existant, et qui ne devraient pas se dévaluer : l’or, peut être, l’immobilier, cela dépend, la caution d’un état, faut voir. En fait, il n’y a pas de garanties absolues, comme la crise actuelle l’a clairement démontré.
Ce pari est nécessairement risqué, nul ne pouvant prétendre prévoir l’avenir, les experts encore moins que les autres peut être. En économie, les paris reposent donc toujours, peu ou prou, sur la solvabilité future de l’emprunteur. Cette solvabilité peut être liée directement au revenu du travail de l’emprunteur (entreprise ou particulier ‘actif’), ou bien, plus indirectement, aux ‘rentes’ du dit emprunteur, ces rentes étant elles aussi reliées au fait que le contexte économique va permettre, ou non, de rémunérer les ‘actifs’ de notre rentier.

Dans tous les cas, comme dans le problème des retraites d’ailleurs, si la situation économique se dégrade, les fameuses garanties du prêteur peuvent ne plus valoir grand-chose, quel que soit le taux d’intérêt du prêt. Je pense même qu’un taux d’intérêt trop important – il faudrait sans doute tester l’élasticité du niveau correspondant, mes recommandations n’étant pour le moment qu’intuitives – risque d’aggraver la situation économique, actuelle et future, plutôt que l’améliorer. C’est d’ailleurs l’un des seuls domaines ou la ‘science économique’ affirme des choses sensées, à savoir que sur le moyen-long terme le taux d’intérêt, le taux de croissance, et le taux d’inflation sont liés. Le taux d’intérêt doit être égal au taux de croissance de l’économie, augmenté du taux d’inflation éventuel.

Pour un fonds de garantie d’état pour les personnes à faible revenu.
Bien sûr, de même qu’il est très difficile, même dans un système totalitaire, de faire boire un âne qui n’a pas soif, il est impossible de ‘forcer un banquier à accorder un emprunt’ quand il ne le veut pas, dans la mesure où il penserait prendre trop de risques. Un gouvernement responsable pourrait cependant accorder une garantie d’état globale – garantie qui ne vaut bien sûr que ce que l’état économique futur vaut, à ceci près qu’un état ne fait pas faillite – aux personnes jugées a priori ‘peu solvables’ par la banque ou l’organisme de crédit.

Ainsi la banque prêterait par exemple à 11% à Monsieur Dupont, la garantie de remboursement étant accordée par l’état, moyennant une ristourne de 1% de la banque à ce même état. En cas de remboursement normal, l’état aurait ainsi gagné une commission de 1% sur le montant total du prêt. Dans le cas contraire, moins fréquent sans doute vu la relative modicité du taux d’emprunt, l’état aurait fait œuvre sociale.

Comment sauver l’economie reelle : il est grand temps de s’en occuper

Les soubresauts de plus en plus importants qui agitent l’ensemble des marchés financiers ne vont sûrement pas se calmer dans un avenir proche. De fait, si les mesures prises ou annoncées depuis quelques jours semblent avoir réglé les problèmes du marché monétaire – en dissipant en particulier les doutes que l’on pouvait avoir sur la liquidité, voire la solvabilité, du système bancaire, elles n’ont strictement aucune influence positive sur le cours des marchés financiers.

La défiance est là, et elle s’est installée pour durer. La véritable question est ailleurs. Peut-on éviter que cette défiance envers les marchés financiers ne pollue pas gravement, voire pour plusieurs années, ce que les commentateurs appellent l’économie réelle, sans toujours bien la définir ?

Intéressons nous à l’économie réelle.
Sans revenir à Marx – même si je trouverai plaisant, en d’autres circonstances, que l’auteur qui,
avec J. Robinson et D. Ricardo, a le plus inspiré mes premières réflexions économiques, ainsi qu’un de mes ouvrages (‘de Karl Marx à Bill Gates’)- il suffit de renvoyer à un article de Holbecq sur la différence entre l’économie réelle et l’économie symbolique pour comprendre le fond du problème.

Cela étant, qu’on déplore cette situation ou non, que peut-on y faire ? Peut-on éviter que la défiance qui a envahi le marché des actions – et, au-delà le marché financier, marché symbolique s’il en est – ne contamine durablement le marché réel, celui de la production et de la consommation, celui de la vie réelle ?

Vu l’interpénétration actuelle des marchés financiers, il est malheureusement impossible d’empêcher la spéculation, la fermeture d’un marché boursier national n’ayant aucun impact dans un tel contexte. On peut cependant empêcher les banques – maintenant qu’elles sont à peu près toutes ‘virtuellement nationalisées’ – d’appuyer leurs octrois de crédits sur des actifs toxiques, qu’ils soient d’anciens prêts immobiliers titritisés ou des actions industrielles bien trop volatiles en ce moment.
La caisse de refinancement des établissements de crédits peut servir à cela, en sus des consignes très fortes que l’état français devrait imposer aux principales banques.

Pour une modification des taux d’usure.
D’autres mesures sont cependant plus importantes encore. J’avais évoqué dans un précédent billet la nécessite d’un encadrement du crédit ‘moderne’, portant non pas sur le volume à prêter, mais sur les taux à consentir.
Il s’agirait en fait de diminuer drastiquement le niveau des différents taux d’usure, qu’ils concernent les découverts aux entreprises ou les prêts à la consommation aux particuliers. Au lieu des 13, 18 et 20% fixés actuellement, je propose de ne pas dépasser 2 à 2,5 fois le taux directeur de la BCE (3,75% actuellement) du crédit interbancaire pour les découverts aux entreprises, et 3 fois ce taux directeur pour les prêts à la consommation, ce qui donnerait environ 9% pour le découvert et 11% pour les prêts à la consommation.

Quand on sait que les PME et les entreprises unipersonnelles représentent en France plus de 80% des emplois, et qu’une consommation en panne ne peut que conduire à une récession de plusieurs années, il est grand temps de soutenir à la fois les PME et le pouvoir d’achat des consommateurs. Si cela conduit à négliger, ou du moins à ne pas se focaliser sur, la capitalisation boursière des entreprises du CAC 40, cela n’est sans doute pas grave.

On peut encore échapper au spectre de la crise de 29.
Encore une fois, il ne s’agit pas de jeter le bébé libéral, celui des entreprises, avec l’eau du bain, celui des scandales financiers et monétaires, mais de s’intéresser à nouveau aux ‘fondamentaux’ de l’économie. C’est sans doute la seule façon d’éviter une crise qui pourrait sinon se comparer en gravité à la crise de 1929. La véritable richesse est créée par les entreprises, en principe au service des ménages, elle ne doit pas être subordonnée au marché financier.
Si on donne trop d'importance et de poids à ce dernier, il se transformera inéluctablement en chape de plomb, bien loin du 'voile' que les économistes classiques ou monétaristes espéraient, bien loin aussi d'un lubrifiant des rouages économiques. Le phénomène de création monétaire est fort simple, mais il ne doit être encouragé que lorsqu'il est véritablement au service des entreprises et des particuliers, pas à celui de la bourse ou des actifs 'toxiques'.

vendredi 10 octobre 2008

Peut-on se passer des banques?

Dans un article récent: "la dernière cartouche" l'auteur du billet, banquier d'affaires, montre à quel point les mesures prises jusqu'ici par les banques centrales comme par les états ont été soit insuffisantes, soit mal dosées, soit avec un mauvais timing.

Il est rassurant de constater qu'il reste encore quelques banquiers lucides, même si très peu acceptent réellement de donner clairement leurs opinions. On peut cependant regretter - il est vrai que c'est un banquier - qu'il ne déclare pas haut et fort que c'est essentiellement l'avidité des banques - et de leurs principaux dirigeants - qui a conduit à une telle crise, sans même parler de leur manque total de sens éthique. C'est ainsi qu'un banquier me disait encore ce matin que les plus hauts dirigeants des banques, dans leur presque totalité, avaient perdu tout sens éthique et moral, par exemple en s'octroyant encore des chèques pharamineux au moment même où l'on apprenait que leur entreprise allait cesser toute activité, c'est en particulier le cas de Lehman Brothers, cela aurait pu être le cas de Dexia.

Si la crise actuelle pouvait contribuer à faire cesser de telles pratiques, et à faire revenir les banques à un "coeur de métier" plus traditionnel, celui de faciliter la vie des entreprises et des ménages, ce serait au moins cela de pris. Evitons en effet de jeter le bébé avec l'eau du bain. Les banques ont cruellement failli à leur rôle, ce n'est pas forcément une raison de vouloir les supprimer. Pendons haut et court - c'est une image bien sûr - les dirigeants 'toxiques', pour ne pas dire 'pourris', mais ne brûlons pas leurs maisons, c'est à dire les banques elles-même, elles ont encore un rôle à jouer.

Raisonnons en effet par l'absurde. Un des rôles fondamentaux de toute banque est de prêter de l'argent, le plus souvent par un mécanisme de création monétaire - au moment de l'octroi de l'emprunt - compensé par la suite par un mécanisme symétrique (on l'espère du moins, quand l'emprunt est remboursé). Si le taux d'intérêt de cet emprunt est voisin, peu ou prou, du taux d'expansion de l'économie, tout va bien, la banque a joué son rôle, elle a simplement anticipé sur l'évolution future de l'économie.
D'autres mécanismes interviennent bien sûr, et le taux d'emprunt interbancaire, de même que le taux de refinancement décidé par les banques centrales, interviennent aussi, mais le principe de base est là.
A l'inverse, il est clair que si la banque prête à un taux 2 à 3 fois plus important que le taux de croissance espéré de l'économie par exemple à 8% pour un taux de croissance envisagé de 3%, la banque ne joue plus son rôle. De fait, soit elle ne pourra jamais se faire rembourser, si les revenus de l'emprunteur n'augmentent pas dans une telle proportion, ce qui ne peut qu'être malsain, à la fois pour l'emprunteur et pour la banque elle-même.
Soit la banque adosse ce prêt à des garanties dont elle pense, à tort ou à raison, qu'elles vont croître à due proportion. Ce fut cette espérance qui a été démentie lors de la bulle internet (dont la croissance de 100% était pensée continuer indéfiniment) c'est cette espérance qui a été démentie lorsque ces garanties se sont adossés au marché immobilier, dont la croissance annuelle de 8 à 10% (je parle ici hors inflation) était vendue aux malheureux emprunteurs comme allant de soi et devant continuer indéfiniment.

Que faut-il donc faire, en dehors de revenir à la solution extrême d'une économie de troc, qui aurait certes l'avantage de pouvoir se passer de tout banquier, honnête ou 'toxique', génial ou incompétent?

Chacun sent bien qu'il faut une nouvelle régulation - ce qui va peut être faire frémir certains ultra-libéraux, alors que chacun sait qu'il ne peut y avoir de liberté(s) sans contraintes.

Pour une nationalisation (provisoire?) du système bancaire:
Une première mesure, dont on commence de plus en plus à parler, consiste en la nationalisation 'virtuelle' de toutes les banques de dépôts et d'investissement, l'état jouant ainsi pleinement son rôle de créateur monétaire (rôle qu'il joue déjà partiellement). Il ne s'agit pas de fabriquer une seule banque étatique, tentaculaire et totalitaire, mais de veiller à ce que les prêts octroyés par chacune des banques constituant ce pool 'nationalisé' soient conformes à ce que l'on peut attendre d'un soutien raisonnable à l'économie. Bien entendu les têtes des principaux dirigeants devront toutes tomber - sans aucun parachute bien sûr.

Pour un encadrement du crédit et une diminution du 'taux usuraire'
Une deuxième mesure, qu'il faudrait prendre conjointement à la première, serait un 'encadrement du crédit', à la fois pour aider les emprunteurs et pour éviter que les banques ne fassent n'importe quoi, sous prétexte de prêter à moindre taux pour certains clients en se payant davantage sur les 'mauvais clients', ce qui est une absurdité.
C'est ainsi que je propose de caler les taux des emprunts par rapport aux taux directeurs de la façon suivante. Si le taux directeur de la BCE, par exemple, est de 3,5%, les banques ne pourront prêter qu'entre 4,5% (1% de marge, pour leur rémunération) et 9%, tout taux supérieur à 9% étant considéré comme un taux usuraire, et donc interdit et puni par la loi. Bien entendu les emprunts en cours devraient eux aussi être revus immédiatement à la baisse.
Mesure rétroactive, donc forfaiture diront certains. Je pense au contraire que dans une situation d'exception, il faut prendre des mesures exceptionnelles, il ne faut pas se cacher en effet que nous sommes véritablement en guerre, guerre financière qui dégénère déjà en guerre économique, évitons que cela se transforme en guerre tout cours.

Par ailleurs je n'ai jamais compris le principe consistant à prêter à 5% à des gens dont on est sûr qu'ils vont rembourser, et à 15% à des gens dont on pense qu'ils ne pourront pas rembourser - alors qu'à 5% ils l'auraient sans doute pu. Si le but étéit de renforcer la misère des pauvres, on peut le comprendre. Si l'objectif, au contraire, est de les aider à s'en sortir, de telles pratiques sont contre-productives. Quand au crédit à la consommation, dont les taux affichés frôlent allègrement les 18%, mieux vaut ne pas en parler. C'est du vol pur et simple, stupide de surcroît.

A situation exceptionnelle, mesures d'exception
Ces deux mesures d'exception me semblent les seules susceptibles de sortir de la situation exceptionnelle dans laquelle l'impéritie des principales banques, l'avidité de leurs dirigeants, et le manque total de contrôle et de régulation a conduit l'économie mondiale ces jours-ci. Ce n'est que dans ce contexte que consommateurs et entrepreneurs reprendront confiance, et que l'économie - libérale mais encadrée - pourra reprendre son essor.

Une troisième mesure complémentaire pourrait être de fermer pendant 15 jours la bourse, pour laisser les investisseurs/spéculateurs reprendre leur souffle. De même on pourrait contrôler, ou même interdire, toute opération 'à découvert'. Mais ceci est une autre histoire

jeudi 9 octobre 2008

Pour sortir de la crise, faut-il renflouer les banques?

Tout d'abord, une précision. Je ne suis ni spéculateur, ni banquier, ce qui me permet de prendre une certaine distance par rapport aux malheurs des spéculateurs ou des banquiers.

N'étant cependant pas suicidaire, j'ai conscience que si la monnaie, moyen de paiement et de financement, vient à faire défaut, le système économique, de la production à la consommation, risque d'en pâtir. Cependant, alors que l'on parle beaucoup d'absence de confiance ces derniers jours, est-il raisonnable de 'faire confiance' à des organismes ou à des mécanismes qui semblent en très grande partie responsables de ce qui nous arrive?

En d'autres termes, pour sauver le consommateur – vous et moi, et le producteur – donc l'entreprise sous ses diverses formes, faut-il sauver la Bourse, et faut-il sauver les banques, et question annexe, cela restaurera t-il la fameuse 'confiance', d'abord entre les banques, puis envers les banques?

Avant de répondre à cette double question, je voudrai juste rappeler quelques faits de bon sens, en partant d'une petite histoire, facile à généraliser, pour illustrer les problèmes liés à une première perte de confiance, celle des banques entre elles.

Partons d'un prêt de 1 M€ fait par la banque A à Monsieur Dupond, ce dernier achetant un bien du même montant à une Entreprise B. Si B a son compte courant dans la banque A, celle-ci est tranquille: aucune 'liquidité' ne sortira de sa banque, il n'y aura eu que des jeux d'écriture, et ceci reste vrai tant que l'entreprise B n'achète elle-même rien à une entreprise qui aurait une autre banque.

Bien entendu, en période 'normale' – celle d'une 'confiance raisonnable' entre établissements de crédit - et en supposant qu'il y a cinq banques d'importance comparable, les différents prêts et dépenses se compensent plus ou moins, il y a même un mécanisme de compensation inter-bancaire pour cela, donc tout se passe comme s'il y avait une seule banque.

Les banques ne se refinancent plus.
En revanche, si les banques hésitent à se 'refinancer', si elles ne se font plus confiance, le mécanisme du marché-interbancaire peut se ralentir dangereusement, voire stopper net. On entre en quelque sorte dans un système dans lequel cinq banques émettraient, ou créeraient, cinq monnaies différentes, dont le taux de change serait très volatil, pour ne pas dire indéterminé.

Les banques n’assurent plus leur rôle.
Comment décréter, en quelque sorte, que les cinq monnaies sont pleinement convertibles entre elles, comment faire en sorte que les banques jouent leur rôle premier en économie, à savoir celui de créateurs de monnaie – ou de co-créateurs avec la banque centrale?

C'est du ressort de la puissance publique de garantir la sécurité et la justice, c'est aussi son rôle de garantir le bon fonctionnement monétaire, il s'agit ici de sécurité économique.
Dans un tel état d'urgence, plusieurs actions sont possibles. On a parlé de ‘recapitalisation’ des banques, voire de ‘nationalisation’ comme si ces deux actions étaient liées. Ce n’est pas le cas.

La recapitalisation consiste à apporter de nouveaux capitaux ‘propres’ à la banque concernée : cela a un double avantage, et deux inconvénients de taille.
Le double avantage, c’est celui d’améliorer les fameux ‘ratios’ bancaires, ainsi que la solvabilité de la banque. Le premier inconvénient est de faire croire que la solvabilité de la dite banque était en péril – bonjour la confiance – et de laisser les anciens dirigeants, ceux qui ont failli à leur tâche, aux mêmes manettes.

La nationalisation, c’est tout autre chose. Elle peut se faire en apportant, ou non, de nouveaux capitaux, comme s’il fallait ‘justifier’ une nationalisation partielle, à hauteur des capitaux apportés. Dans ce contexte, on pourrait se demander d’où viennent ces capitaux, dont l’état semble pourtant cruellement manquer.
Elle peut aussi se faire par une décision régalienne au plus haut niveau, d’une toute autre portée que de déclarer ‘l’état apporte sa garantie à l’ensemble des banques’. Une telle décision est comparable à la nationalisation du Canal de Suez par Nasser, ou celle des gisements de pétrole en Russie, au Vénézuela ou ailleurs. Cela peut ne pas plaire, bien sûr.

Pour une nationalisation ‘virtuelle’.
Ce peut aussi être une nationalisation virtuelle, en ce sens que les banques ayant elles-même des comptes à la Banque de France, il suffit que celle-ci abonde plus ou moins les comptes des banques 'à nationaliser', sans véritablement y apporter des capitaux propres, il n’y en a pas vraiment besoin. Les dépôts bancaires n'ont pas fondu du jour au lendemain, même si les ratios bancaires se sont dégradés fortement, du fait de la crise des subprimes et de la chute des marchés boursiers (115 Milliards en trois jours pour le CAC 40). Mais les maisons ou appartements existent toujours, les entreprises industrielles elles aussi.

Le débutant en économie apprend que ce sont essentiellement les banques – au plus prés de leur marché – qui accompagnent les activités économiques par une création monétaire 'judicieuse'. Si cette création monétaire de 'second rang' n'a plus lieu, c'est évidemment à l'état de le faire.

Il ne s'agit donc nullement de sauver les banques, ou les banquiers, mais de permettre un fonctionnement normal de l'économie. Permettre aux entreprises d'investir, d'assurer leurs besoins fluctuants de trésorerie, et d'assurer la qualité des dépôts bancaires des petits ou gros épargnants, indépendamment de tout ce qui peut se passer sur le marché des actions. Même en système libéral, la puissance publique a pour mission, et pour prérogative régalienne, d'assurer l'ordre public, l'ordre économique en faisant partie.

Autant il serait choquant de recapitaliser les banques – du fait de l'impéritie de leurs dirigeants - autant il semble à la fois juste, et judicieux, de se substituer à elles pour assurer la pérennité du système économique par une création monétaire normale, et directe, dès lors que ces banques 'commerciales' – dites de second rang- ne le font pas.
D'ailleurs, quand l'Allemagne, ou l'Islande, déclarent accorder une garantie illimitée aux dépôts de ses résidents, n'est-ce pas une façon détournée – et peu didactique – de faire ce que je propose? A savoir la nationalisation du mécanisme de création monétaire, quelle qu'en soit la forme exacte.
Les pertes des banques ou des spéculateurs sont une chose – qui n'est pas nécessairement d'ailleurs dans le champ d'action de la puissance publique. Le financement normal de l'économie et la garantie de la monnaie, par contre, sont clairement de la responsabilité de l'état.

La frilosité actuelle des banques et la non-confiance entre elles serait due au fait qu'on leur demanderait d'avoir plus de fonds propres. Il est clair que la diminution de leurs actifs (« mark to market ») dûe à leurs prises insensées de risques a rendu la tutelle publique méfiante, et les déposants relativement inquiets.