Les prévisions pessimistes sur la situation économique en général et la situation française en particulier se succèdent semaine après semaine, et semblent même encore s'accélérer, après un léger moratoire aux alentours du 4 novembre, date de l'élection de Barak Obama. Après s'être focalisé sur la bourse et l'évolution des marchés financiers, on en vient, hélas, à ce qui devrait réellement préoccuper monsieur tout le monde, vous et moi, à savoir la crise de l'économie réelle, concrète, celle que l'on peut toucher.
Après avoir esquissé dans mes précédents billets le rôle - les rôles pourrait-on dire - de la monnaie dans une économie moderne, et par conséquent le rôle des banques, en tant qu'importants créateurs - et destructeurs - de monnaie 'fiduciaire', j'en étais venu à mentionner, à travers diverses allégories, ou fables - telles la "Dame de Condé" - l'éventualité d'une société sans banques, ou plus exactement sans monnaie 'centrale'.
Du mystère de la monnaie au rôle régulateur de l’Etat.
La monnaie, chose à la fois insignifiante (J.S. Mill : « Il n’est pas dans l’économie d’une société quelque chose de plus insignifiant en elle-même que la monnaie ») et fondamentale, s’entoure depuis longtemps d’un mystère (K. Marx, citant Lord Gladstone : « L’amour lui-même n’a pas fait perdre la tête à plus de gens que les ruminations sur l’essence de la monnaie ») derrière lequel aiment se cacher ses ‘experts’.
Milton Friedman, le ‘pape’ du monétarisme, allait jusqu’à dire, il y a une quarantaine d’années, qu’il fallait « faire voter un ensemble de règles rigides, limitant par avance la marge d’initiatives dont peuvent disposer les autorités monétaires », sans doute pour éviter aux autorités de tutelle de « faire des bêtises » anti-libérales. Et on touche bien là au problème de fonds d’une éventuelle régulation étatique: l’Etat doit-il s’effacer en mode ‘normal’, pour réagir, au risque de ‘sur-réagir’, en situation de crise ? Nous reviendrons sur ce point dans un autre billet, sans imaginer avoir LA réponse à cette question fondamentale.
Pour une monnaie ‘non bancaire’ ?
Pour un revenir à un monde ‘non monétaire’, et en raisonnant par l'absurde, j'avais envisagé un système où les banques étant défaillantes dans leur rôle premier - celui d'être au service de l'économie, donc à celui des entreprises et des ménages - les 'acteurs économiques' se substituaient à elles pour mettre du lubrifiant - leur propre monnaie - dans les rouages du circuit économique.
Loin d'être une idée aussi absurde que cela paraisse (idée déjà envisagée en son temps par Hayek, Rueff et plus près de nous M. Allais) - je n'envisage évidemment nullement ici une économie de troc - cette hypothèse mériterait sans doute d’être creusée bien plus que ce qui peut être écrit en quelques lignes ici.
La crise est bien là, une crise de sous-production.
Partons de la situation concrète telle qu’elle se présente à nous, particulièrement en France. Que voit-on ?
Des capacités de production inutilisées (en particulier dans le secteur automobile et dans le B.T.P., ainsi que dans l’hôtellerie), des investissements en berne au niveau des infrastructures – en particulier dans le domaine ferroviaire (ferroutage plus précisément) – des PME rentables mais en court de trésorerie, d’autres PME, plus nombreuses hélas, au bord de la faillite du fait d’un manque de demande solvable de la part d’éventuels consommateurs, une balance commerciale de plus en plus largement déficitaire, sans même parler du déficit structurel de l’Etat. Ajoutons à tout cela, conséquence directe ou effet induit, un chômage en train de remonter. Voilà l’état de l’économie réelle.
Face à cela, une économie symbolique et un marché monétaire déboussolés, des banques toujours plus frileuses, un marché financier en déroute, des spéculateurs se cramponnant tant bien que mal à leur rêves de splendeur passée, certains encore accrochés aux suspentes de leurs parachutes dorés.
Peut-on relancer la machine économique ?
La seule question qui devrait donc se poser est celle-ci : dès lors qu’il y a des besoins inassouvis et des capacités de production inutilisées, en équipements comme en hommes, peut-on relancer la machine économique ?
Pour les nostalgiques de l’histoire, cette situation est évidemment très comparable à celle de 1929-1933, aux ‘progrès’ de la mondialisation près.
Si on laissait parler le bon sens populaire, et, plus encore, si on daignait l’écouter, la réponse serait évidente. Oui, on peut le faire.
Qu’est ce donc qui empêche que cette réponse d’apparent bon sens soit entendue, et mise en œuvre, au lieu de continuer à se lamenter sur des prévisions de ‘croissance négative’ – magie des mots, pour éviter de parler de récession, de la même façon sans doute que l’on a longtemps parlé de ‘tournante’, plutôt que de ‘viol collectif’.
Si nous parlions d’externalités et de développement durable ?
Refaire marcher nos usines signifie évidemment de s’intéresser à leurs sources d’énergie. Il est évident que les fluctuations du pétrole n’aident pas à faire des ‘business plans’ crédibles. Mais en dehors même de ces fluctuations, chacun sait bien que les ressources minérales sont en voie d’épuisement, à l’horizon d’une, deux, voire trois générations, quel que soit le coût affiché de des ressources, il finira par être infini, lorsque la dernière goutte de pétrole aura été extraite du sous-sol de notre terre.
Grenelle de l’environnement ou pas, il est donc grand temps de faire comme si toutes les ressources fossiles étaient en voie d’extinction. Et donc de consacrer l’essentiel de nos investissements en recherche et développement à l’étude d’autres sources énergétiques, renouvelables (biomasse ?) ou inépuisables (vent, soleil ?). Même les recherches dans le domaine de la santé devraient céder le pas à ce type de recherche.
Si notre monde s’auto-détruit, ou n’est plus capable de subvenir aux besoins de sa population, le fait de s’intéresser à la santé des malades, voire de prolonger la vie de quelques privilégiés est évidemment stupide. Ce n’est pas faire passer la nature avant l’homme, comme certains écologistes sont parfois tentés de le faire, c’est simplement, là encore, du bon sens. Soigner le cancer, c’est bien, éviter que la pollution n’augmente sa survenue, c’est sans doute mieux.
Plusieurs mesures peuvent s’inscrire dans cette voie, en dehors même d’intentions publiques clairement affichées, du genre plus d’usines propres et non gourmandes en énergie, moins de dépenses militaires inutiles si le monde court à sa perte, comme par exemple le financement d’un deuxième porte-avions, pas très utile contre le terrorisme ou les flux migratoires déclenchés pour une bonne part par une misère sordide.
La France n’a plus les moyens d’être une grande puissance militaire, elle peut sans doute redevenir une grande puissance morale, en particulier si elle s’inscrit dans la seule voie réaliste à terme, celle d’une nation respectueuse de l’environnement des hommes.
La fonction de médiateur de la république vient d’être créé pour ‘surveiller les banques’, avec l’aide, nolen volens, des préfets. Si ce médiateur avait déjà pour mission de pousser les banques à aider systématiquement toutes les entreprises et organisations travaillant dans le développement durable, ainsi que les usines et manufactures s’engageant dans des processus de fabrication économes en énergie fossile, ce serait là encore une bonne indication sur la volonté du gouvernement à s’engager sur la bonne voie.
Keynes, un des seuls économistes du vingtième siècle à se méfier de l’idéologie, la sienne et celle des autres, était conscient que la relance de l’économie passait par des subterfuges, pour lutter en particulier contre ce qu’il appelait « la trappe à liquidités », lorsque l’argent reste dans des bas de laine plutôt que de permettre le financement ‘normal’ de l’économie.
Lorsque le mirage des placements « pharamineux » s’éloigne, la tendance naturelle est de redevenir Harpagon, d’où son fameux appel à de grands travaux, tels les Ateliers Nationaux du 19ème siècle en France. Quitte à payer des gens à ne rien faire – creuser des trous et les reboucher, ou se lancer dans des guerres à effet destructif garanti – autant les payer à faire des choses utiles.
Il serait donc de la responsabilité de l’Etat, à côté d’une fusion sans doute nécessaire de l’ANPE et des ASSEDIC, de développer des projets de développement durable – économes en énergie, voire créateurs d’énergie renouvelable – pour lesquels des compétences existeraient, ou seraient développés en France. A côté de cela, relancer la construction, sans doute en habitat dense et non en maisons individuelles, là encore avec des matériaux et des procédés économes en énergie, serait évidemment une voie à suivre. L’état peut aussi inciter vivement les banques à financer ce type de travaux, par des prêts à taux indexé à la fois sur la croissance et l’inflation, soit 2,5% en 2009 (1/2 % de croissance et 2% d’inflation, hypothèse basse, mais réaliste si ces mesures de relance sont prises rapidement).
Comment financer tout cela ?
La garantie de l’Etat : 360 milliards pour les banques, pourrait fort bien s’orienter directement pour moitié vers l’ensemble des projets esquissés plus haut, donc vers des entreprises de l’économie réelle, et non symbolique. Par ailleurs, la relance de l’économie, et le passage de 0,5% de croissance à 1% de croissance (dans le développement durable, avec économies d’énergies, et donc de devises, à la clef) pourrait aussi booster les rentrées fiscales de l’Etat. Enfin, une impulsion donnée au secteur automobile dans la recherche de véhicules et d’utilitaires plus propres et moins énergivores pourrait permettre à ce secteur de se revigorer, et lui éviter ainsi des plans de licenciement massifs.
Dernière mesure enfin. Indiquer clairement aux banques que si elles persévèrent dans leur refus de financer l’économie réelle dans les directions souhaitées par l’Etat, elles s’exposent à ne plus être partie prenante dans le circuit économique, et en premier lieu dans le mécanisme de création monétaire, qui peut leur être facilement enlevé en modifiant les ratios auxquelles elles sont tenues, quitte à faire plus largement appel à des crédits inter-entreprises qu’il faudrait donc développer davantage.
Sans parler bien sûr de méthodes encore plus radicales interdisant à l'ensemble des établissements financiers les ventes ou achats à découverts d’instruments financiers, bien loin actuellement de remplir leur objectif premier, qui était de protéger les entreprises de risques non industriels concernant la variation du cours des matières premières ou des taux de change.
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