vendredi 31 octobre 2008

Crise economique et crise boursiere: de la confiance a la mefiance

Dans un billet précédent, je m'étais appuyé sur la fable de la dame de Condé, un peu modifiée, pour mettre en valeur le rôle positif de la confiance en économie 'réelle'. Aujourd'hui , je ne peux résister au plaisir de reprendre l'historiette suivante, qui m'a été envoyée par Didier Saint-Gaudin. Nous verrons ensuite la 'morale' de cette histoire.

Dans un village, un homme apparut et annonça aux villageois qu'il achèterait des singes pour 10 € chacun.

Les villageois, sachant qu'il y avait des singes dans la région, partirent dans la forêt et commencèrent à attraper les singes. L'homme en acheta des centaines à 10 € pièce et comme la population de singes diminuait, les villageois arrêtèrent leurs efforts.


Alors, l'homme annonça qu'il achetait désormais les singes à 15 €. Les villageois recommencèrent à chasser les singes.

Mais bientôt le stock s'épuisa et les habitants du village retournèrent à leurs occupations. L'offre monta à 20 € et la population de singes devient si petite qu'il devint rare de voir un singe, encore moins en attraper un.

L'homme annonça alors qu'il achèterait les singes 50 € chacun. Cependant, comme il devait aller en ville pour affaires, son assistant s'occuperait des achats.


L'homme étant parti, son assistant rassembla les villageois et leur dit : «Regardez ces cages avec tous ces singes que l'homme vous a achetés. Je vous les vends 35 € pièce et lorsqu'il reviendra, vous pourrez les lui vendre à 50 €. »

Les villageois réunirent tout l'argent qu'ils avaient, certains vendirent tout ce qu'ils possédaient, et achetèrent tous les singes. La nuit venue, l'assistant disparut.

On ne le revit jamais, ni lui ni son patron ; on ne vit plus que des singes qui couraient dans tous les sens.

Confiance et méfiance: les deux 'mamelles' d'une économie monétarisée.
Comme le lecteur l'a sûrement déjà entrevu, cette histoire, qui pourrait s'intituler 'la Bourse pour les Nuls', illustre tout d'abord le fait que si en Bourse, on achète et l'on vend sur des anticipations de valeurs actuelles, et plus encore futures, ces valeurs ne sont jamais sûres.
L'histoire repose aussi aussi sur un mécanisme à la limite du délit d'initié : acheter à 35 € pour revendre à 50€, de façon à peu près sûre (ou que l'on croit telle).
Le fait que l'assistant et les villageois soient tous complices de cette malhonnêteté (ou que l'on croit telle) aux dépens du patron n'est qu'un épiphénomène, illustrant le vieil adage 'tel est pris qui croyait prendre'.
Bien entendu, l'homme et son assistant ont joué sur la cupidité des villageois pour monter cette escroquerie.
Que reste t-il enfin aux villageois: des actifs 'toxiques', ou 'pourris': les singes, qui ne valent plus que ce que d'éventuels acheteurs sont prêts à payer.

Retour à l'économie réelle.
Certes, on ne reprendra sans doute plus les villageois à de tels comportements. Mais c'est là que l'on retrouve l'économie réelle. Aller à la chasse des singes n'était nullement répréhensible - à quelques arguments écologiques près - . Et les villageois auraient pu s'arrêter lorsque le dernier singe avait disparu. Mais, en sortant de l'économie réelle, et en allant spéculer en bourse, en pensant ainsi gagner davantage, ils ont tout perdu, et la méfiance qu'ils vont maintenant avoir vis à vis de la bourse risque de se reporter sur l'économie réelle elle-même.

Histoire sans fondements diront certains: ce matin, j'entendais encore à la radio les fortunes (250 milliards d'euros) qu'avaient perdu des oligarques russes, rois du pétrole ou de l'aluminium, en transformant leurs richesses réelles en actifs 'toxiques' - ce qu'ils ne savaient pas à l'époque bien sûr. Faire confiance à l'économie réelle, certes, mais quand on ne fait plus confiance aux banques et à ceux qui sont censés les gouverner, ce n'est pas simple.

La morale de la morale: ne jouez pas en bourse, comptez plutôt sur vos propres ressources, celles de votre travail, passé, présent ou à venir. Si vous avez des économies, et si vous voulez à tout prix placer votre épargne, visez plutôt les obligations et bons du trésor, voire dans le livret A, c'est plus sûr. Une rentabilité de 4% (2% en termes réels), cela ne fait pas fantasmer, mais vous ne volez rien à personne, puisqu'une telle rentabilité est simplement adossée, bon an mal an, à la croissance de l'économie réelle.

Attention aux mirages de la Bourse:
Si cela ne vous suffit pas, sachez que en cherchant une plus grande rentabilité - dans rentabilité, il y a 'rente', donc 'rentiers'- vous contribuez vous-même aux bulles spéculatives pour lesquelles vous chercherez tôt ou tard des boucs émissaires - sport dans lequel la société Générale et la CNCE sont passés maîtres-, alors même que vous en ferez partie.

mardi 28 octobre 2008

Les experts n'y comprennent plus rien

Quelle outrecuidance!
Les experts ou prétendus tels, devant les soubresauts des marchés financiers, affirment doctement qu'on ne plus rien comprendre au fonctionnement actuel des marchés. Ce qui signifie, en fait, qu'eux, les experts, ne comprenant rien, ou ne voulant pas comprendre, il s'ensuit nécessairement que personne ne peut comprendre.

Les économistes et les financiers se sont déconsidérés eux-mêmes.
Ce sont pourtant les mêmes qui continuent à donner au 'petit peuple', sur tous les medias, des leçons d'économie. Ils n'ont même pas l'élémentaire bon sens de voir qu'en se faisant ils se tirent une balle dans le pied, en se décrédibilisant complètement. Ce ne serait pas si grave s'ils ne déconsidéraient pas, par là-même, l'économie concrète. On peut sans doute se passer d'économistes, voire oublier la plupart des prétendus lois de la science économique - qui n'est pas vraiment une science - mais nous avons besoin d'une économie concrète, réelle, qui fonctionne.

C'est quoi, une économie qui fonctionne?
Une première loi de bon sens. Quelque soit son contexte socio-politique, aucun système économique ne peut fonctionner si la production des biens et services consomme plus de ressources qu'elle n'en dégage.
Cela étant dit, le problème consiste à évaluer à la fois les ressources consommées et la richesse produite. Il s'agit ainsi, par exemple, de comparer des ressources fossiles (charbon, fer, petrole) à des produitrs manufacturés (automobiles, textiles). Pour faire cela, on est bien obligé de 'convertir' en bien étalon - la marchandise-étalon de Sraffa, plus concrètement en euros ou dollars ou yens - les ressources et les richesses produites.
Quand les différents marchés sont à peu près stables, cela ne pose pas un énorme problème.
En revanche, quand le baril de pétrole peut varier de 50% en quelques semaines, et l'euro contre dollar perdre 25% de sa valeur, on comprend bien la difficulté de la chose.

Les entreprises, et donc l'économie 'réelle', peuvent certes se couvrir 'à terme' contre de tels risques, avec l'aide d'intermédiaires financiers spécialisés dans ce domaine, qui assurent ainsi les entreprises contre de tels risques.

Des pompiers pyromanes, ou des assureurs spéculateurs.
Là où cela se complique, c'est quand les intermédiaires financiers, au lieu de jouer leur rôle d'assureurs économiques, et donc d'amortisseurs éventuels de fluctuations de changes ou de prix de matières premières, se transforment en spéculateurs.
Au lieu de tenter d'amortir ces chocs, ils vont jouer sur la volatilité de ces chocs- donc profiter d'une plus grande variation - en utilisant pour cela toute une panoplie d'instruments financiers, tous plus sophistiqués les uns que les autres.
Le seul trait commun de ces instruments est qu'ils sont - ou étaient - censés 'garantir' une rentabilité de 12 à 15%, alors même que l'économie réelle se traînait péniblement autour d'une croissance de 2 à 3%, en dehors de l'économie des pays comme l'Inde ou la Chine, pays dans lesquels les placements américains se sont fortement investis.

Une deuxième loi économique.
Nous en arrivons alors à notre deuxième loi, elle aussi de bon sens.
L'économie 'symbolique', celle des banques et des marchés financiers, ne peut croître durablement beaucoup plus vite que l'économie réelle. Certes le partage salaires-profits, ou salaires-rentes, peut évoluer en faveur des rentes, mais même cela a une limite.
Le corollaire de cette loi, c'est que lorsque le taux de rentabilité exigé par les investisseurs est 2 à 3 fois supérieur au taux de croissance de l'économie réelle, le système tout entier, symbolique et réel, ne peut que se dérégler, c'est que nous voyons en ce moment.

Que faudrait-il donc faire?
Ce diagnostic, somme toute de bon sens, étant fait, y a t-il des solutions?
Dans un système non totalitaire, on ne peut éviter les spéculateurs et la spéculation. On peut cependant éviter d'encourager ceux-ci, et d'alimenter celle-la, par exemple en empêchant les institutions financières d'être à la fois incendiaires et pompiers. D'où une séparation très nette qui devrait être imposée entre les banques de dépôts et tous les autres établissements financiers, la création monétaire étant systématiquement sous le contrôle explicite, direct ou indirect, d'une autorité 'régalienne', en principe au service de tous et non de quelques uns.

On peut ensuite encourager et développer les crédits inter-entreprises, lorsque les banques faillissent à leur rôle d'accompagnateurs éclairés de la vie et de la croissance des entreprises. On peut enfin interdire les taux usuraires pour les prêts, un taux 'usuraire' étant un taux trop éloigné de la croissance anticipée pour l'économie réelle. C'est ainsi que si l'on anticipe une croissance de 2%, et une inflation de 3%, ce qui correspond à un taux de base 'réel' de 5%, aucun prêt ne devrait être supérieur à 8 ou 10%, alorsque les taux actuels des prêts à la consommation peuvent aller jusqu'à 20%, ce qui n'est pas le plus sûr moyen de relancer la consommation, encore moins l'économie réelle.

Du role des banques a celui de la monnaie

Tout système économique repose sur la confiance, 'administrée' ou non, qui relie ses différents acteurs, comme la fable de la "Dame de Condé" l'illustre abondamment.
Dans cette fable, 5 artisans ou entrepreneurs individuels se doivent l'un à l'autre 100 euros, mais, problème de liquidité, aucun artisan ne dispose de cette somme.
Il faut alors un évènement extérieur, une "Dame de petite vertu" - tout rapprochement avec une banque existante serait évidemment infondé - qui vient retenir une chambre pour 100 euros auprès d'un de ces artisans, un aubergiste, pour que le cycle des dettes successives - des crédits fournisseurs en fait- se dénoue. L'aubergiste paye l'artisan n°2, qui lui même paye l'entrepreneur n°3, qui paye le numéro 4, qui paye lui-même le n°5, qui lui-même peut enfin rembourser l'aubergiste, le n°1, à qui il devait 100 euros.

De la création à la destruction de monnaie.
L'apport de monnaie - que l'on peut assimiler à de la création de monnaie 'ex nihilo' (dans l'histoire on apprend que la Dame avait utilisé un faux billet, ce qui n'a pas véritablement d'importance) - de 100 euros a permis d'éteindre 500 euros de dettes mutuelles.
On peut alors supprimer ce billet de 100 euros: la Dame de Condé le brûle en affirmant qu'il est faux - ce que les banquiers appellent 'destruction de monnaie', que cette monnaie ait été réelle ou 'virtuelle' - pour appuyer le trait.
La confiance, même provisoire, que les différents artisans ont mis dans le billet de 100 euros qui 'circulait' ainsi de mains en mains, a permis d'éteindre les dettes mutuelles.
On pourrait rapprocher cette fable de la garantie bancaire que le gouvernement français a accordé aux différentes banques de notre pays, la 'petite' différence étant qu'apparemment ces banques se font moins confiance entre elles que les artisans-entrepreneurs de notre fable.

Liquidité et solvabilité.
Des esprits chagrins, au vu de cette fable, pourraient critiquer la morale sous-jacente en disant que la circulation de ce billet supplémentaire n'a en rien amélioré la situation économique des artisans de Condé. Aucun bien ou service supplémentaire n'a été produit ou délivré, les artisans ont simplement éteint une dette - crédit fournisseur - qui était comptablement équilibrée par un actif - compte client.
Celui qui n'a jamais travaillé en entreprise et qui n'a jamais été confronté à des problèmes de trésorerie pensera peut être que dès lors qu'un bilan est équilibré (c'est évidemment toujours le cas, par construction), il n'est pas très important d'avoir un crédit fournisseur important, dès lors que les créances client le compensent.
Dans la vie réelle, il en va cependant très différemment. Il suffit de penser aux actifs 'toxiques' des banques, évalués à plusieurs milliards de dollars, et qui ne valent plus, après la chute des marchés de l'immobilier, que 30 à 40% de leur valeur anticipée, pour comprendre que ce n'est pas la même chose.
Peu importe cependant, acceptons cette critique qui assimilerait la fable de la Dame de Condé à un simple jeu d'écriture (ce qui est en fait le fondement de la création monétaire) et transformons cette fable en y introduisant une véritable production.
Il aurait pu suffire pour cela de changer les données de la 'Dame de Condé' en supposant qu'au lieu de dettes de 100 euros, chaque artisan allait entreprendre une production évaluée chacune à 100 euros. Voulant être créatif, nous allons cependant inventer une autre petite histoire, et nous appellerons cette fable le 'Sieur de Laroque'.

Le sieur de Laroque.
Dans un petit bourg, Laroque des Albères, un Hollandais inconnu, M. Batave, se présente auprès d'un entrepreneur, M. Gazzoli, et lui commande la construction d'un mas évalué à 200 000 euros. M. Gazzoli va faire appel à un certain nombre de corps de métier, en supposant ici qu'aucun artisan concerné ne va faire de marge, mais va travailler 'à prix coûtant', pour simplifier l'historiette.
M. Gazzoli va ainsi acheter pour 100 000 euros de matériaux à M. Materiel, et va recruter 5 compagnons, pour la durée du chantier, qu'il va payer chacun 20 000 euros.Ces cinq compagnons vont eux même chacun acheter une voiture, une Logan, pour 10 000 euros, le reste des 10000 euros finissant dans les caisses du supermarché local.Le concessionnaire automobile, M. Garage, va lui-même transformer ces 50000 euros en extension de son garage, 30 000 euros pour M. Gazzoli, et 20 000 euros pour M.Materiel, qui va cette fois dépenser cette somme au supermarché local
Ainsi, les 200 000 euros initiaux ont fait des petits, 100 000 euros pour M. Materiel (on suppose que cet argent n'est pas dépensé, mais on aurait pu continuer l'histoire ad infinitum) plus 70 000 euros (50 000 + 20 000) pour M. Supermarché, plus 30 000 euros à nouveau pour M. Gazzoli, plus enfin 20 000 euros pour M. Materiel, soit 280 000 euros.
En ce qui concerne la circulation monétaire, plus d'argent encore a circulé, si l'on prend en compte toutes les occasions où de l'argent, virtuel ou réel, a changé de main (la somme des flux se monte ici à 370000 euros)

D'où vient l'argent?
Supposons que notre hollandais ait eu 200 000 euros d'épargne. Cette épargne s'est transformée en un actif immobilier estimé lui aussi (prix coûtant) à 200 000 euros.
La richesse de M. Batave n'a donc pas changé,(elle est simplement moins 'liquide') mais son investissement a augmenté le PIB de Laroque de l'équivalent de 5 voitures (50 000 euros), 130 000 euros d'épargne (M. Materiel et M. Gazzoli), une extension de garage (30 000 euros) et enfin d'une consommation de 70 000 euros (M. Supermarché), soit un total de : 280 000 euros.
Si M. Batave av ait du emprunter ces 200 000 euros auprès d'une banque, sans intérêt, et sans garantie, la banque aurait injecté 200 000 euros dans l'économie locale de Laroque, ce qui aurait contribué à une augmentation nette du PIB de 280 000 euros, plus les 200 000 euros du mas de M. Batave, qu'elle aurait pu garder en garantie si M. Batave n'avait pu rembourser son prêt. Si un certain taux, 10% avait du être prélevé, on peut penser que la municipalité de Laroque aurait volontiers remboursé les 5% de 200 000 euros, soit 10 000 euros, son PIB local ayant augmenté de 280000 euros.
En d'autres termes, la simple injection - création monétaire réelle, ou simple transfert d'épargne - d'une somme de 200 000 euros apermis à notre village de faire fonctionner sans problème son économie réelle.

Economie monétaire ou économie de troc.
Les deux histoires précédentes montrent à l'évidence que ce n'est pas la banque le plus important, mais la monnaie, ou plus exactement le rôle de moyen de paiement qui est associé à la monnaie. Devant une liasse de billets - liasse virtuelle ou réelle - du seul fait que les différents acteurs jugent crédible sa valeur, le circuit économique fonctionnera nécessairement. Nul n'est besoin d'une banque pour cela, la garantie d'une autorité tutélaire suffit pour cela.

Peut-on aller plus loin, et se passer de monnaie 'tutélaire'. Dans certains cas, des traites entre fournisseurs peuvent suffire. C'est ainsi qu'à Condé, les différents artisans auraient pu s'échanger leurs créances et éteindre ainsi leurs dettes. Mais c'est évidemment moins commode que d'échanger des billets ou des chèques, les compensations entre dettes se faisant plus vite et plus élégamment, sans avoir besoin de rechercher l'artisan qui a exactement la dette qui couvre rigoureusement votre propre crédit, et inversement. C'est pour cela que, même sans banque, la monnaie est indispensable, et qu'une économie de troc sera toujours moins efficace. Cela ne signifie nullement, bien sûr, que ce doive être l'état, ou l'europe, qui gère cette monnaie 'fiduciaire', c'est à dire une monnaie en laquelle on peut avoir confiance. Mais ceci est une autre histoire.

vendredi 24 octobre 2008

Economie 'virtuelle', economie 'reelle'

Nous y voilà enfin. Les soubresauts des marchés financiers, qui ne s'atténuent guère de puis 15 jours, tout en oscillant autour d'un point bas (3200 pour l'indice du CAC 40), ont fini par montrer que le roi était nu. Le roi, celui de l'économie réelle, roi qui est le seul à pouvoir 'nourrir ses sujets', vous et moi.

L'économie réelle va mal.
Oui, l'économie réelle, du moins en Occident et en Amérique du Nord, va mal.
La crise des subprimes n'a évidemment rien arrangé, même si elle a remis au goût du jour le fait que le fondement de la richesse d'une nation n'était ni les gains spéculatifs obtenus sur les marchés financiers, ni l'intérêt d'emprunts accordés parfois sur des garanties ou à des taux proches de l'usure. Le fondement de la 'richesse des nations' repose bien sur la qualité - et la quantité - des productions de biens et services, donc, en définitive, sur la qualité - et la quantité - du travail, direct et indirect, d'une nation.

A quoi servent les banques?
Certains grands économistes - il en existe encore -, je pense en particulier à Keynes, J. Robinson, plus encore peut être à notre seul prix Nobel, M. Allais - pour un article rédigé en 1998 - se sont penchés sur les 'services' que l'on devrait pouvoir attendre des banques, et que nous n'avons pas toujours.
Ils ont ainsi depuis longtemps mis l'accent sur ce qui devrait être un fonctionnement 'normal' des marchés monétaires et financiers, lesquels devant être au service de l'économie, et non à leur propre service.
M. Allais - qui passe pourtant pour un théoricien ultra-libéral - a même suggéré que l'on interdise aux banques toute création monétaire, l'économie d'endettement - on ne prête qu'en fonction des dépôts que l'on a - étant beaucoup moins risquée, et donc plus fiable, qu'une économie monéto-financière, où l'on prête à tout va, en fonction de perspectives d'avenir et de rentabilité future beaucoup plus délicates à évaluer.

Le pouvoir régalien de battre monnaie.
Dit autrement, seul l'état aurait le pouvoir 'régalien' de 'battre monnaie', c'est à dire de faire de la création monétaire. En poussant à peine le trait, cela signifie que M. Allais, tout libéral qu'il puisse être, considère que si le marché doit être tout puissant pour la quasi-unanimité des domaines et secteurs de l'activité économique, il ne devrait pas exister en ce qui concerne la monnaie, voire même l'intermédiation financière.

Creation de monnaie et refondation du capitalisme.
En allant encore un peu plus loin, ne serait-ce pas dans cette direction, celle d'une nationalisation virtuelle, ou réelle, de la partie 'création de monnaie' par les banques, que l'on pourrait aborder ce dont en parle de plus en plus, à savoir la 'refondation du capitalisme'.
De fait, l'homme de la rue, dont le bon sens est parfois plus grand que celui de nos fameux argentiers et experts, a du mal à accepter que l'on mette 360 milliards dans la cagnote des banques, et que l'on ne trouve pas un ou deux misérables petits milliards pour le RSA, et quelques milliards de plus pour la Sécurité Sociale.

Certes, comme je l'ai écrit précédemment, ce n'est pas la même chose. Dans le premier cas, c'est un prêt, garanti en principe sur un remboursement futur. Dans le deuxième cas, ce serait un don.
Il n'en est pas moins vrai que, si l'on revient à l'économie réelle, il peut apparaître plus judicieux de prêter à des entreprises que prêter à des banques. C'est le rôle des banques diront certains grincheux ainsi que la majorité des experts.
Certes, mais les banques ayant failli, à la fois individuellement et collectivement, faut-il leur faire à nouveau confiance, ou ne serait-il pas grand temps de changer une équipe qui perd.
Cela aurait un double mérite: montrer au citoyen ordinaire que les 'riches' ne sont pas au dessus du lot commun, et que s'ils prennent des risques - avec l'argent des autres - ils ne doivent pas s'attendre à être 'sauvé', s'ils ont perdu leur pari. Combien de patrons de PME, qui ont pris eux des risques avec leur propre argent, se retrouvent au bord de la faillite du fait d'une mauvais gestion de leurs banquiers: est-ce juste que ce soit eux qui payent les pots cassés. Là encore l'homme de la rue, le citoyen ordinaire, le salarié lambda, ne le pensent pas.

Soutenons les entreprises, pas les banques.
Si l'on veut donc réconcilier le citoyen ordinaire avec l'économie, il est peut être temps de montrer que la réalité ordinaire, celle de l'économie concrète - et pas uniquement virtuelle ou symbolique - touche aussi les puissants de ce monde.

Cela ne résoudra évidemment pas tous les problèmes. Mais le seul fait de trouver des ressources pour ceux qui jouent un rôle direct, concret, tangible, dans l'économie - à savoir les entreprises industrielles et de service, voire un certain nombre d'administrations ou d'organisations publiques au rôle clairement identifié - ne peut que redonner une certaine confiance à l'homme de la rue, à vous, à moi. Et lorsque l'on sait le rôle que la confiance joue en économie...

De la cohérence et de la pédagogie.
L'economie a soif de cohérence, elle va mal lorsqu'il n'y en a pas. Cette cohérence n'esixte pas toujours dans les décisions qui se succèdent au niveau gouvernemental depuis des semaines, et lorsque cette cohérence y est, la pédagogie pour l'expliciter y est trop rarement. Le renflouement des banques n'était pas forcément une bonne idée, à moins d'expliciter davantage le rôle des banques dans le fonctionnement de l'économie réelle - rôle que l'on peut d'ailleurs remettre en question, si l'on s'oriente véritablement vers une refondation du capitalisme. Les conséquences économiques du 'Grenelle de l'Environnement' sur le marché de l'automobile étaient elles aussi évidentes.
Si l'on veut la mort à petit feu de l'automobile 'sale' sans que cela ne conduise à des licenciements massifs chez PSA ou chez Renault, il faudrait peut être songer à aider les constructeurs français à se reconvertir vers le transport en commun - minibus - et vers des véhicules 'propres'. On en est bien loin.

jeudi 16 octobre 2008

Faut-il preter aux pauvres? si oui, a quel taux?

Dans un précédent billet, j’avais écrit que prêter aux riches était plus aisé – au moins pour les financiers et les banques – que de prêter aux pauvres, un tel prêt s’apparentant plus à un don qu’à une action commerciale ‘normale’. J’avais pris comme exemple les 320 milliards ‘garantis’ par l’état français « le prêt aux riches » , et le milliard pour le RSA, le « don aux pauvres ».

Par ailleurs, dans un autre texte, je prétendais qu’une mesure cruciale d’accompagnement à l’économie réelle – aux PME comme aux consommateurs – consisterait à diminuer les taux officiels d’usure (taux de découvert aux entreprises comme taux de crédit à la consommation) à un niveau nettement inférieur. Dans les conditions actuelles, alors que le taux directeur de base de la BCE est de 3,75%, je proposais 9% contre 13% pour le découvert, 11% contre 18% pour les prêts à la consommation.

Mon argument était le suivant. Prêter à un taux très important à des personnes ou des entreprises ayant des problèmes de trésorerie – on parlerait dans le système bancaire de problèmes de liquidité – ne me semblait pas être un moyen efficace pour le prêteur de rentrer dans ses fonds, en dehors même de tout problème éthique consistant à ponctionner davantage les ‘pauvres’ que les ‘riches’.

On peut certes m’opposer un contre-argument, celui de la solvabilité des emprunteurs.

Dans le cas d’une entreprise, une PME peut avoir des problèmes de trésorerie – alors que son bilan, qui mesure en quelque sorte sa solvabilité à moyen terme, peut être excellent. Donc le fait ne diminuer le taux de découvert peut ne pas poser de problèmes ‘existentiels’ au prêteur, qui est à peu près sûr de rentrer dans ses fonds.

En revanche, dans le cas d’un prêt à un particulier, il en va peut être tout autrement. Il est beaucoup plus difficile pour un éventuel prêteur de connaître la véritable situation de solvabilité du candidat emprunteur. Il peut certes connaître ses revenus mensuels, quant à son niveau réel d’endettement, dès lors que le candidat au prêt a plusieurs comptes dans différentes banques, c’est beaucoup plus difficile, sauf en cas d’inscription à la banque de France pour incidents multiples de paiement.

D’où la tendance des banques ou des organismes de crédit à la consommation de ‘surtaxer’ les prêts aux particuliers à la solvabilité, actuelle et future, douteuse. En dehors de se ‘couvrir’ face au risque de traiter avec des ‘insolvables’ potentiels, ces organismes peuvent même prétendre rendre service aux candidats emprunteurs en leur montrant qu’à de tels taux ils feraient mieux de ne pas emprunter, car il y a de grandes chances – ou malchances – qu’ils ne puissent jamais rembourser.

D’où le titre de ce billet : faut-il prêter aux pauvres, et si oui, à quel taux.

Tout prêt est un pari.
En fait, là encore c’est tout à la fois un problème d’anticipation et une question d’ordre social et politique. Tout prêt est un ‘pari’, en règle général sur l’avenir, sauf lorsque vous demandez des garanties concrètes sur des biens existant, et qui ne devraient pas se dévaluer : l’or, peut être, l’immobilier, cela dépend, la caution d’un état, faut voir. En fait, il n’y a pas de garanties absolues, comme la crise actuelle l’a clairement démontré.
Ce pari est nécessairement risqué, nul ne pouvant prétendre prévoir l’avenir, les experts encore moins que les autres peut être. En économie, les paris reposent donc toujours, peu ou prou, sur la solvabilité future de l’emprunteur. Cette solvabilité peut être liée directement au revenu du travail de l’emprunteur (entreprise ou particulier ‘actif’), ou bien, plus indirectement, aux ‘rentes’ du dit emprunteur, ces rentes étant elles aussi reliées au fait que le contexte économique va permettre, ou non, de rémunérer les ‘actifs’ de notre rentier.

Dans tous les cas, comme dans le problème des retraites d’ailleurs, si la situation économique se dégrade, les fameuses garanties du prêteur peuvent ne plus valoir grand-chose, quel que soit le taux d’intérêt du prêt. Je pense même qu’un taux d’intérêt trop important – il faudrait sans doute tester l’élasticité du niveau correspondant, mes recommandations n’étant pour le moment qu’intuitives – risque d’aggraver la situation économique, actuelle et future, plutôt que l’améliorer. C’est d’ailleurs l’un des seuls domaines ou la ‘science économique’ affirme des choses sensées, à savoir que sur le moyen-long terme le taux d’intérêt, le taux de croissance, et le taux d’inflation sont liés. Le taux d’intérêt doit être égal au taux de croissance de l’économie, augmenté du taux d’inflation éventuel.

Pour un fonds de garantie d’état pour les personnes à faible revenu.
Bien sûr, de même qu’il est très difficile, même dans un système totalitaire, de faire boire un âne qui n’a pas soif, il est impossible de ‘forcer un banquier à accorder un emprunt’ quand il ne le veut pas, dans la mesure où il penserait prendre trop de risques. Un gouvernement responsable pourrait cependant accorder une garantie d’état globale – garantie qui ne vaut bien sûr que ce que l’état économique futur vaut, à ceci près qu’un état ne fait pas faillite – aux personnes jugées a priori ‘peu solvables’ par la banque ou l’organisme de crédit.

Ainsi la banque prêterait par exemple à 11% à Monsieur Dupont, la garantie de remboursement étant accordée par l’état, moyennant une ristourne de 1% de la banque à ce même état. En cas de remboursement normal, l’état aurait ainsi gagné une commission de 1% sur le montant total du prêt. Dans le cas contraire, moins fréquent sans doute vu la relative modicité du taux d’emprunt, l’état aurait fait œuvre sociale.

Comment sauver l’economie reelle : il est grand temps de s’en occuper

Les soubresauts de plus en plus importants qui agitent l’ensemble des marchés financiers ne vont sûrement pas se calmer dans un avenir proche. De fait, si les mesures prises ou annoncées depuis quelques jours semblent avoir réglé les problèmes du marché monétaire – en dissipant en particulier les doutes que l’on pouvait avoir sur la liquidité, voire la solvabilité, du système bancaire, elles n’ont strictement aucune influence positive sur le cours des marchés financiers.

La défiance est là, et elle s’est installée pour durer. La véritable question est ailleurs. Peut-on éviter que cette défiance envers les marchés financiers ne pollue pas gravement, voire pour plusieurs années, ce que les commentateurs appellent l’économie réelle, sans toujours bien la définir ?

Intéressons nous à l’économie réelle.
Sans revenir à Marx – même si je trouverai plaisant, en d’autres circonstances, que l’auteur qui,
avec J. Robinson et D. Ricardo, a le plus inspiré mes premières réflexions économiques, ainsi qu’un de mes ouvrages (‘de Karl Marx à Bill Gates’)- il suffit de renvoyer à un article de Holbecq sur la différence entre l’économie réelle et l’économie symbolique pour comprendre le fond du problème.

Cela étant, qu’on déplore cette situation ou non, que peut-on y faire ? Peut-on éviter que la défiance qui a envahi le marché des actions – et, au-delà le marché financier, marché symbolique s’il en est – ne contamine durablement le marché réel, celui de la production et de la consommation, celui de la vie réelle ?

Vu l’interpénétration actuelle des marchés financiers, il est malheureusement impossible d’empêcher la spéculation, la fermeture d’un marché boursier national n’ayant aucun impact dans un tel contexte. On peut cependant empêcher les banques – maintenant qu’elles sont à peu près toutes ‘virtuellement nationalisées’ – d’appuyer leurs octrois de crédits sur des actifs toxiques, qu’ils soient d’anciens prêts immobiliers titritisés ou des actions industrielles bien trop volatiles en ce moment.
La caisse de refinancement des établissements de crédits peut servir à cela, en sus des consignes très fortes que l’état français devrait imposer aux principales banques.

Pour une modification des taux d’usure.
D’autres mesures sont cependant plus importantes encore. J’avais évoqué dans un précédent billet la nécessite d’un encadrement du crédit ‘moderne’, portant non pas sur le volume à prêter, mais sur les taux à consentir.
Il s’agirait en fait de diminuer drastiquement le niveau des différents taux d’usure, qu’ils concernent les découverts aux entreprises ou les prêts à la consommation aux particuliers. Au lieu des 13, 18 et 20% fixés actuellement, je propose de ne pas dépasser 2 à 2,5 fois le taux directeur de la BCE (3,75% actuellement) du crédit interbancaire pour les découverts aux entreprises, et 3 fois ce taux directeur pour les prêts à la consommation, ce qui donnerait environ 9% pour le découvert et 11% pour les prêts à la consommation.

Quand on sait que les PME et les entreprises unipersonnelles représentent en France plus de 80% des emplois, et qu’une consommation en panne ne peut que conduire à une récession de plusieurs années, il est grand temps de soutenir à la fois les PME et le pouvoir d’achat des consommateurs. Si cela conduit à négliger, ou du moins à ne pas se focaliser sur, la capitalisation boursière des entreprises du CAC 40, cela n’est sans doute pas grave.

On peut encore échapper au spectre de la crise de 29.
Encore une fois, il ne s’agit pas de jeter le bébé libéral, celui des entreprises, avec l’eau du bain, celui des scandales financiers et monétaires, mais de s’intéresser à nouveau aux ‘fondamentaux’ de l’économie. C’est sans doute la seule façon d’éviter une crise qui pourrait sinon se comparer en gravité à la crise de 1929. La véritable richesse est créée par les entreprises, en principe au service des ménages, elle ne doit pas être subordonnée au marché financier.
Si on donne trop d'importance et de poids à ce dernier, il se transformera inéluctablement en chape de plomb, bien loin du 'voile' que les économistes classiques ou monétaristes espéraient, bien loin aussi d'un lubrifiant des rouages économiques. Le phénomène de création monétaire est fort simple, mais il ne doit être encouragé que lorsqu'il est véritablement au service des entreprises et des particuliers, pas à celui de la bourse ou des actifs 'toxiques'.

vendredi 10 octobre 2008

Peut-on se passer des banques?

Dans un article récent: "la dernière cartouche" l'auteur du billet, banquier d'affaires, montre à quel point les mesures prises jusqu'ici par les banques centrales comme par les états ont été soit insuffisantes, soit mal dosées, soit avec un mauvais timing.

Il est rassurant de constater qu'il reste encore quelques banquiers lucides, même si très peu acceptent réellement de donner clairement leurs opinions. On peut cependant regretter - il est vrai que c'est un banquier - qu'il ne déclare pas haut et fort que c'est essentiellement l'avidité des banques - et de leurs principaux dirigeants - qui a conduit à une telle crise, sans même parler de leur manque total de sens éthique. C'est ainsi qu'un banquier me disait encore ce matin que les plus hauts dirigeants des banques, dans leur presque totalité, avaient perdu tout sens éthique et moral, par exemple en s'octroyant encore des chèques pharamineux au moment même où l'on apprenait que leur entreprise allait cesser toute activité, c'est en particulier le cas de Lehman Brothers, cela aurait pu être le cas de Dexia.

Si la crise actuelle pouvait contribuer à faire cesser de telles pratiques, et à faire revenir les banques à un "coeur de métier" plus traditionnel, celui de faciliter la vie des entreprises et des ménages, ce serait au moins cela de pris. Evitons en effet de jeter le bébé avec l'eau du bain. Les banques ont cruellement failli à leur rôle, ce n'est pas forcément une raison de vouloir les supprimer. Pendons haut et court - c'est une image bien sûr - les dirigeants 'toxiques', pour ne pas dire 'pourris', mais ne brûlons pas leurs maisons, c'est à dire les banques elles-même, elles ont encore un rôle à jouer.

Raisonnons en effet par l'absurde. Un des rôles fondamentaux de toute banque est de prêter de l'argent, le plus souvent par un mécanisme de création monétaire - au moment de l'octroi de l'emprunt - compensé par la suite par un mécanisme symétrique (on l'espère du moins, quand l'emprunt est remboursé). Si le taux d'intérêt de cet emprunt est voisin, peu ou prou, du taux d'expansion de l'économie, tout va bien, la banque a joué son rôle, elle a simplement anticipé sur l'évolution future de l'économie.
D'autres mécanismes interviennent bien sûr, et le taux d'emprunt interbancaire, de même que le taux de refinancement décidé par les banques centrales, interviennent aussi, mais le principe de base est là.
A l'inverse, il est clair que si la banque prête à un taux 2 à 3 fois plus important que le taux de croissance espéré de l'économie par exemple à 8% pour un taux de croissance envisagé de 3%, la banque ne joue plus son rôle. De fait, soit elle ne pourra jamais se faire rembourser, si les revenus de l'emprunteur n'augmentent pas dans une telle proportion, ce qui ne peut qu'être malsain, à la fois pour l'emprunteur et pour la banque elle-même.
Soit la banque adosse ce prêt à des garanties dont elle pense, à tort ou à raison, qu'elles vont croître à due proportion. Ce fut cette espérance qui a été démentie lors de la bulle internet (dont la croissance de 100% était pensée continuer indéfiniment) c'est cette espérance qui a été démentie lorsque ces garanties se sont adossés au marché immobilier, dont la croissance annuelle de 8 à 10% (je parle ici hors inflation) était vendue aux malheureux emprunteurs comme allant de soi et devant continuer indéfiniment.

Que faut-il donc faire, en dehors de revenir à la solution extrême d'une économie de troc, qui aurait certes l'avantage de pouvoir se passer de tout banquier, honnête ou 'toxique', génial ou incompétent?

Chacun sent bien qu'il faut une nouvelle régulation - ce qui va peut être faire frémir certains ultra-libéraux, alors que chacun sait qu'il ne peut y avoir de liberté(s) sans contraintes.

Pour une nationalisation (provisoire?) du système bancaire:
Une première mesure, dont on commence de plus en plus à parler, consiste en la nationalisation 'virtuelle' de toutes les banques de dépôts et d'investissement, l'état jouant ainsi pleinement son rôle de créateur monétaire (rôle qu'il joue déjà partiellement). Il ne s'agit pas de fabriquer une seule banque étatique, tentaculaire et totalitaire, mais de veiller à ce que les prêts octroyés par chacune des banques constituant ce pool 'nationalisé' soient conformes à ce que l'on peut attendre d'un soutien raisonnable à l'économie. Bien entendu les têtes des principaux dirigeants devront toutes tomber - sans aucun parachute bien sûr.

Pour un encadrement du crédit et une diminution du 'taux usuraire'
Une deuxième mesure, qu'il faudrait prendre conjointement à la première, serait un 'encadrement du crédit', à la fois pour aider les emprunteurs et pour éviter que les banques ne fassent n'importe quoi, sous prétexte de prêter à moindre taux pour certains clients en se payant davantage sur les 'mauvais clients', ce qui est une absurdité.
C'est ainsi que je propose de caler les taux des emprunts par rapport aux taux directeurs de la façon suivante. Si le taux directeur de la BCE, par exemple, est de 3,5%, les banques ne pourront prêter qu'entre 4,5% (1% de marge, pour leur rémunération) et 9%, tout taux supérieur à 9% étant considéré comme un taux usuraire, et donc interdit et puni par la loi. Bien entendu les emprunts en cours devraient eux aussi être revus immédiatement à la baisse.
Mesure rétroactive, donc forfaiture diront certains. Je pense au contraire que dans une situation d'exception, il faut prendre des mesures exceptionnelles, il ne faut pas se cacher en effet que nous sommes véritablement en guerre, guerre financière qui dégénère déjà en guerre économique, évitons que cela se transforme en guerre tout cours.

Par ailleurs je n'ai jamais compris le principe consistant à prêter à 5% à des gens dont on est sûr qu'ils vont rembourser, et à 15% à des gens dont on pense qu'ils ne pourront pas rembourser - alors qu'à 5% ils l'auraient sans doute pu. Si le but étéit de renforcer la misère des pauvres, on peut le comprendre. Si l'objectif, au contraire, est de les aider à s'en sortir, de telles pratiques sont contre-productives. Quand au crédit à la consommation, dont les taux affichés frôlent allègrement les 18%, mieux vaut ne pas en parler. C'est du vol pur et simple, stupide de surcroît.

A situation exceptionnelle, mesures d'exception
Ces deux mesures d'exception me semblent les seules susceptibles de sortir de la situation exceptionnelle dans laquelle l'impéritie des principales banques, l'avidité de leurs dirigeants, et le manque total de contrôle et de régulation a conduit l'économie mondiale ces jours-ci. Ce n'est que dans ce contexte que consommateurs et entrepreneurs reprendront confiance, et que l'économie - libérale mais encadrée - pourra reprendre son essor.

Une troisième mesure complémentaire pourrait être de fermer pendant 15 jours la bourse, pour laisser les investisseurs/spéculateurs reprendre leur souffle. De même on pourrait contrôler, ou même interdire, toute opération 'à découvert'. Mais ceci est une autre histoire

jeudi 9 octobre 2008

Pour sortir de la crise, faut-il renflouer les banques?

Tout d'abord, une précision. Je ne suis ni spéculateur, ni banquier, ce qui me permet de prendre une certaine distance par rapport aux malheurs des spéculateurs ou des banquiers.

N'étant cependant pas suicidaire, j'ai conscience que si la monnaie, moyen de paiement et de financement, vient à faire défaut, le système économique, de la production à la consommation, risque d'en pâtir. Cependant, alors que l'on parle beaucoup d'absence de confiance ces derniers jours, est-il raisonnable de 'faire confiance' à des organismes ou à des mécanismes qui semblent en très grande partie responsables de ce qui nous arrive?

En d'autres termes, pour sauver le consommateur – vous et moi, et le producteur – donc l'entreprise sous ses diverses formes, faut-il sauver la Bourse, et faut-il sauver les banques, et question annexe, cela restaurera t-il la fameuse 'confiance', d'abord entre les banques, puis envers les banques?

Avant de répondre à cette double question, je voudrai juste rappeler quelques faits de bon sens, en partant d'une petite histoire, facile à généraliser, pour illustrer les problèmes liés à une première perte de confiance, celle des banques entre elles.

Partons d'un prêt de 1 M€ fait par la banque A à Monsieur Dupond, ce dernier achetant un bien du même montant à une Entreprise B. Si B a son compte courant dans la banque A, celle-ci est tranquille: aucune 'liquidité' ne sortira de sa banque, il n'y aura eu que des jeux d'écriture, et ceci reste vrai tant que l'entreprise B n'achète elle-même rien à une entreprise qui aurait une autre banque.

Bien entendu, en période 'normale' – celle d'une 'confiance raisonnable' entre établissements de crédit - et en supposant qu'il y a cinq banques d'importance comparable, les différents prêts et dépenses se compensent plus ou moins, il y a même un mécanisme de compensation inter-bancaire pour cela, donc tout se passe comme s'il y avait une seule banque.

Les banques ne se refinancent plus.
En revanche, si les banques hésitent à se 'refinancer', si elles ne se font plus confiance, le mécanisme du marché-interbancaire peut se ralentir dangereusement, voire stopper net. On entre en quelque sorte dans un système dans lequel cinq banques émettraient, ou créeraient, cinq monnaies différentes, dont le taux de change serait très volatil, pour ne pas dire indéterminé.

Les banques n’assurent plus leur rôle.
Comment décréter, en quelque sorte, que les cinq monnaies sont pleinement convertibles entre elles, comment faire en sorte que les banques jouent leur rôle premier en économie, à savoir celui de créateurs de monnaie – ou de co-créateurs avec la banque centrale?

C'est du ressort de la puissance publique de garantir la sécurité et la justice, c'est aussi son rôle de garantir le bon fonctionnement monétaire, il s'agit ici de sécurité économique.
Dans un tel état d'urgence, plusieurs actions sont possibles. On a parlé de ‘recapitalisation’ des banques, voire de ‘nationalisation’ comme si ces deux actions étaient liées. Ce n’est pas le cas.

La recapitalisation consiste à apporter de nouveaux capitaux ‘propres’ à la banque concernée : cela a un double avantage, et deux inconvénients de taille.
Le double avantage, c’est celui d’améliorer les fameux ‘ratios’ bancaires, ainsi que la solvabilité de la banque. Le premier inconvénient est de faire croire que la solvabilité de la dite banque était en péril – bonjour la confiance – et de laisser les anciens dirigeants, ceux qui ont failli à leur tâche, aux mêmes manettes.

La nationalisation, c’est tout autre chose. Elle peut se faire en apportant, ou non, de nouveaux capitaux, comme s’il fallait ‘justifier’ une nationalisation partielle, à hauteur des capitaux apportés. Dans ce contexte, on pourrait se demander d’où viennent ces capitaux, dont l’état semble pourtant cruellement manquer.
Elle peut aussi se faire par une décision régalienne au plus haut niveau, d’une toute autre portée que de déclarer ‘l’état apporte sa garantie à l’ensemble des banques’. Une telle décision est comparable à la nationalisation du Canal de Suez par Nasser, ou celle des gisements de pétrole en Russie, au Vénézuela ou ailleurs. Cela peut ne pas plaire, bien sûr.

Pour une nationalisation ‘virtuelle’.
Ce peut aussi être une nationalisation virtuelle, en ce sens que les banques ayant elles-même des comptes à la Banque de France, il suffit que celle-ci abonde plus ou moins les comptes des banques 'à nationaliser', sans véritablement y apporter des capitaux propres, il n’y en a pas vraiment besoin. Les dépôts bancaires n'ont pas fondu du jour au lendemain, même si les ratios bancaires se sont dégradés fortement, du fait de la crise des subprimes et de la chute des marchés boursiers (115 Milliards en trois jours pour le CAC 40). Mais les maisons ou appartements existent toujours, les entreprises industrielles elles aussi.

Le débutant en économie apprend que ce sont essentiellement les banques – au plus prés de leur marché – qui accompagnent les activités économiques par une création monétaire 'judicieuse'. Si cette création monétaire de 'second rang' n'a plus lieu, c'est évidemment à l'état de le faire.

Il ne s'agit donc nullement de sauver les banques, ou les banquiers, mais de permettre un fonctionnement normal de l'économie. Permettre aux entreprises d'investir, d'assurer leurs besoins fluctuants de trésorerie, et d'assurer la qualité des dépôts bancaires des petits ou gros épargnants, indépendamment de tout ce qui peut se passer sur le marché des actions. Même en système libéral, la puissance publique a pour mission, et pour prérogative régalienne, d'assurer l'ordre public, l'ordre économique en faisant partie.

Autant il serait choquant de recapitaliser les banques – du fait de l'impéritie de leurs dirigeants - autant il semble à la fois juste, et judicieux, de se substituer à elles pour assurer la pérennité du système économique par une création monétaire normale, et directe, dès lors que ces banques 'commerciales' – dites de second rang- ne le font pas.
D'ailleurs, quand l'Allemagne, ou l'Islande, déclarent accorder une garantie illimitée aux dépôts de ses résidents, n'est-ce pas une façon détournée – et peu didactique – de faire ce que je propose? A savoir la nationalisation du mécanisme de création monétaire, quelle qu'en soit la forme exacte.
Les pertes des banques ou des spéculateurs sont une chose – qui n'est pas nécessairement d'ailleurs dans le champ d'action de la puissance publique. Le financement normal de l'économie et la garantie de la monnaie, par contre, sont clairement de la responsabilité de l'état.

La frilosité actuelle des banques et la non-confiance entre elles serait due au fait qu'on leur demanderait d'avoir plus de fonds propres. Il est clair que la diminution de leurs actifs (« mark to market ») dûe à leurs prises insensées de risques a rendu la tutelle publique méfiante, et les déposants relativement inquiets.

mercredi 1 octobre 2008

subprimes, fantasmes, mirages et exces de la mutualisation

Je suis comme tout le monde je pense. Si je pouvais gagner beaucoup, sans risques, je laisserais peut être ma haute moralité de côté, et je le ferais.

Malheureusement - ou heureusement pour mon éthique, parfois chancelante devant tous les mirages de la société moderne - le bon sens - qui devrait être la qualité la mieux partagée - ne m'a pas encore complètement fait défaut.

Je me suis heurté il y a plus de trente ans à mes collègues financiers sur un problème de fond, (concernant le MEDAF: Modèle d'Evaluation des Actifs Financiers) que l'on peut simplifier ici en disant " dans les (trop) bonnes affaires, il y a toujours (au moins) un perdant ". Depuis lors, j'ai toujours gardé en ce domaine la m^me conviction. Cela m'a permis de ne jamais croire que la bourse pouvait durablement monter davantage que le taux de croissance réel de l'économie - corrigé du taux d'inflation.
Cette évidence - pour certains du moins - devrait être gravé dans le marbre sur le fronton, numérique ou concret - de toutes les bourses du monde.
Là encore, le bon sens dirait "le marché ne peut battre le marché", quel que soit le sens plus ou moins magique que l'on donne à ce marché.

Une des rares choses, ou lois, que l'on a en économie est bien celle là. Sur le moyen-long terme, l'économie réelle reprend le dessus, et le taux d'intérêt (réel) sans risques est égal au taux de croissance de l'économie dans son ensemble, 'toutes choses égales par ailleurs'. Mais quelles sont ces choses censées être égales?

Tout d'abord, et c'est le plus important, le taux de partage entre salaires et profits. Il est clair que sans être adepte de la lutte des classes, si les 'travailleurs' voient leur part respective se réduire par rapport à celle des 'rentiers', cela signifiera simplement que les rentiers gagnent plus que le taux de croissance, et que les 'travailleurs' gagnent moins.

De même, à l'intérieur d'une même catégorie (mais c'est statistiquement moins visible) les parachutes dorés des 'mauvais' grands patrons - que l'on n'éjecte pas vraiment durement - diminuent la part 'normale' des salariés 'lambdas'. C'est évidemment scandaleux, mais vu le petit nombre de grands patrons, et le très grand nombre de salariés lambdas, cela ne joue qu'à la marge.

Dans la crise actuelle, qui est partie, comme chacun sait, d'une stagnation, puis d'une chute vertigineuse, en accélération constante, du marché de l'immobilier (essentiellement neuf) aux USA, là encore le bon sens n'a vraiment pas joué.

De fait, on a voulu faire croire - machiavéliquement ou non - là n'est pas la question, qu'en jouant dans deux catégories à la fois, salarié en tant qu'emprunteur, rentier en tant que futur propriétaire d'un bien que l'on imaginait devoir se revaloriser sans cesse dans un proche futur, on était 'sûr' de son coup. Et comment résister à de telles sirènes, l'occasion était trop belle, surtout quand la perche semblait sociale, puisque offerte aux plus démunis?

Ce mécanisme 'magique' reposait, bien sûr, sur le fait que la croissance de l'immobilier allait continuer, cette croissance, de plus, s'effectuant à un taux supérieur au taux de croissance global de l'économie. Chaque emprunteur pensait ainsi avoir trouvé la fameuse pierre philosophale médiévale. Au lieu de transformer du plomb en or, c'était de la pierre, mais peu importe.

Le scandale repose évidemment sur le fait que les banquiers, non seulement se soient prêtés au jeu, mais l'ont encouragé, en se gardant bien, croyaient-ils, de prendre le moindre risque, puisqu'ils ont 'titritisés' les hypothèques les plus douteuses, souvent à prix d'or, sans vraiment se demander qui allait finir par payer. Ils sont pourtant censés avoir fait des études leur disant que le 'raser gratis' n'existe pas, même dans la défunte U.R.S.S. S'ils ne sont pas idiots - ce que je crois - c'est qu'ils sont foncièrement malhonnêtes, et/ou que l'appât du gain leur a fait oublier toute prudence.
O certes, ils se croyaient bien assurés, un autre mirage, celui de la mutualisation, mais quand tout s'écroule, on est bien obligé de revenir aux seules valeurs concrètes, celles de l'économie réelle.

Les premières victimes sont évidemment les gens sur-endettés, dont le principal tort est d'avoir cru leurs banquiers - le mirage d'un boom immobilier éternel et la nécessité, parfois, de trouver à se loger pour les plus modestes leur ont fait oublier le plus élémentaire bon sens -.
Les deuxièmes victimes, c'est sans doute nous tous, qui vivons de l'économie réelle qui a besoin d'un certain niveau de liquidités, et plus encore de confiance, pour continuer à se développer. Les troisièmes sont les banquiers: ce ne serait pas très grave, penseront certains, si l'on n'était pas obligé de renflouer leurs banques. Espérons que ce ne sera pas en offrant des parachutes dorés à leurs patrons 'ripoux', plus pourris sans doute que les obligations du même nom, qui vont peut être finir par payer, au lieu d'offrir comme boucs émissaires, ou victimes expiatoires, des Kerviel dont le seul tort a été de vouloir jouer dans la cour des grands.

Si cette crise, dont les victimes, directes ou indirectes, vont se compter par centaines de millions, pouvait ouvrir les yeux des politiques qui disent nous gouverner, et ramener un peu de bon sens dans la tête de nombre d'imprudents, ce ne serait pas une mauvaise chose, même si c'est chèrement payé. En rugby comme en économie, on parle souvent des fondamentaux. Revenons-y, de grâce, LE fondamental étant l'économie concrète, c'est à dire les entreprises et ceux qui y travaillent et en vivent, directement ou indirectement.

On parle parfois de voile monétaire, qui se comporte ces derniers mois comme une chape de plomb. Comment a t'on pu nous convaincre, convaincre le monde, que l'on pouvait durablement gagner davantage avec des produits financiers ou bancaires qu'avec des produits tirés 'de la terre et du travail des hommes'? Les financiers, les banquiers, les gouvernants et les enseignants sont certes responsables, mais personne ne nous force à être crédules et à perdre toute lucidité.

Personne, sauf peut être l'homme avide qui sommeille en chacun de nous, et qui croit sans doute être plus malin que les autres, et pouvoir gagner davantage sans se fatiguer.