mardi 27 mai 2008

Faut-il subventionner les marins pecheurs?

Si vous êtes marin pêcheur vous-même, la question ne se pose sans doute pas. Qui souhaiterait en effet travailler de plus en plus - et encore, quand les quotas de pêche fixés à l'échelon international le permettent - pour gagner de moins en moins, voire pour perdre de l'argent? Mais au delà de ce drame humain, quel est le rôle exact d'une subvention. Vu la montée inexorable du prix du pétrole et de ses dérivés, augmentation due, non à la méchanceté des hommes ou aux appétits spéculatifs de quelques uns - même si cela peut effectivement jouer - mais à l'épuisement de ressources naturelles rares, et à une demande croissante de la part de pays émergents, comme la Chine et l'Inde, peut-on raisonnablement penser que la France, ou le président français, peut réellement sauver le soldat Marin?
Rappelons ce que tout manuel élémentaire dit à propos des subventions: en tant qu'aide financière versée par l'état (donc financée par le contribuable, plus ou moins directement), elle a pour rôle, soit de venir en aide à des secteurs jugés stratégiques - je ne suis pas sûr que ce soit réellement le cas pour la pêche - soit d'aider à la reconversion d'un secteur - ce qui pourrait effectivement être le cas, si tant est que l'on parle réellement un langage de vérité, qui serait celui-là.
Oui la pêche est un secteur structurellement déficitaire, du fait d'un double effet de ciseau, des coûts en perpétuelle augmentation face à un prix international du poisson en stagnation.
Comme il est à la fois difficile, au moins à long terme, de jouer sur les coûts - pourquoi subventionner les pêcheurs, et pas les routiers, les taxis, les ambulanciers, les médecins, et plus généralement tout utilisateur d'automobile (l'état le voudrait que ses finances, nos finances, ne le permettraient pas: et puis, quelle ironie, après le Grenelle de l'environnement, financer une surconsommation de ressources non renouvelables...) - et sur le niveau des prix - le consommateur français, en cette période de vaches maigres et de pouvoir d'achat en stagnation, accepterait-il de payer plus cher que ses voisins le poisson français? - le problème semble insoluble.
De fait, la seule solution serait à creuser dans la direction suivante.
Accorder provisoirement des aides à ceux des pêcheurs qui accepteraient de s'orienter vers une consommation énergétique beaucoup moins élevée - et permettre la reconversion de ceux qui ne le pourraient ou ne le voudraient pas - tout en s'efforçant de fixer à l'échelle européenne des objectifs de moindre consommation énergétique: des quotas de consommation pétrolière en sus, ou à la place, des quotas de pêche. Les chalutiers construits il y a 20 ou 30 ans sont de véritables gouffres à mazout.
Là encore, le salut, si tant est qu'il y en ait, ne peut venir que des énergies nouvelles, renouvelables à court ou moyen terme: recours à l'énergie électrique, ou hybride, voire pour les plus gros chaluts à l'énergie nucléaire, retour parfois à la voile lorsque les zones de pêche le permettent. Voilà le langage de vérité qu'il faut tenir aux marins pêcheurs, et plus généralement à la population française, avide d'environnement, mais encore plus désireuse de son petit confort financé par les autres.
Oui le pétrole est hors de prix. Raison de plus pour essayer de s'en passer, peut être en changeant nous même notre façon de l'utiliser, et aussi en incitant l'état - des manifestations en ce sens seraient les bien venues, avec des slogans du genre, oui aux énergies renouvelables, non aux dérivés du pétrole - à développer la recherche pour d'autres sources d'énergie ou de transport, mais non pas en baissant fictivement le prix à la pompe, quelle qu'elle soit. Ce genre de comportement aurait véritablement un sens, et montrerait un esprit citoyen responsable et soucieux de notre environnement à moyen et long terme, ce que ne nous semble pas être le cas des manifestations actuelles des marins pêcheurs, même si l'on peut comprendre leur désespoir.
Certes, les marins pêcheurs font un métier difficile, voire périlleux. Mais est-on prêt pour autant à mettre la main à la poche - notre poche, pas celle de l'autre- pour financer une profession dont l'on sait bien qu'elle a peu d'avenir, à moins de renouveler complètement sa façon de travailler, ce qui ne sera pas possible pour l'ensemble de la filière. Et ce ne sont malheureusement pas les manifestations des marins en colère, blocages de ports et de raffinerie, pillage de grands magasins, etc. , qui y changeront quelque chose: au contraire, peut être, cela risque de repousser les décisions à prendre, d'autant plus douloureuses qu'elles viendront tardivement. Dépouiller Jacques pour habiller Pierre, même si c'est la méthode suivie par tous les gouvernements depuis des décennies, n'a jamais, et ne sera jamais une stratégie efficace, au moins en ce qui concerne l'intérêt collectif.

lundi 26 mai 2008

Principe de precaution et pouvoir d'achat

Suite au rapport Attali et au vote de la loi sur les OGM, mon éminent confrère Caccomo vient d'écrire sur son blog une excellente critique concernant les positions maximalistes de certains experts, ou proclamés tels, nous menaçant des pires catastrophes si nous continuons, d'après ces derniers, à jouer aux apprentis sorciers.

Loin de moi, bien sûr, l'idée que toute invention ou innovation est nécessairement prometteuse, et rien n'empêche, bien sûr, de regarder de près les conséquences de telle ou telle nouveauté ou expérimentation. Il n'empêche. Si l'on regarde l'histoire de l'humanité, sur une très courte période de son histoire -les 15,000 dernières années (sur les millions d'années qui nous séparent, paraît-il, des premiers homidiens), que constate-t-on?

Tout d'abord, un phénomène trop souvent ignoré. Le niveau de vie (on parlerait de nos jours de pouvoir d'achat) des hommes du néolithique (13 000 ans avant J.C.) était très proche de celui des habitants de la Grèce antique (1000 ans avant notre ère) (Tous ces chiffres sont tirés du livre de Beinhocker, "The Origin Of Wealth"). Plus précisément, si l'on prend un indice 100 pour nos congénères du néolithique, l'indice du niveau de vie des contemporains d'Agamemnon ou de Ménélas -ou d'Ulysse- n'était qu'au niveau 180.
Et il faudra attendre le 18 ème siècle, et le milieu du règne de Louis XV -et les prémices de la révolution industrielle- pour que ce niveau de vie atteigne le niveau 200. Plus de 14,000 ans pour avoir un pouvoir d'achat simplement doublé: qu'en pensent nos compatriotes, dont le pouvoir d'achat a été multiplié par 7 au vingtième siècle, et qui se plaignent, à juste titre, de sa stagnation des dernières années?

Encore quelques chiffres, avant d'essayer de comprendre cette très lente évolution du niveau de vie de l'humanité pendant des millénaires, puis sa véritable explosion sur les deux ou trois derniers siècles.

Beinhocker évalue le niveau de vie moyen de l'humanité, pour le début des années 2000, à un montant de 7400. Dit autrement, l'homme 'moyen' du début du 21ème siècle aurait un niveau de vie 37 fois supérieur au contemporain de Rousseau ou de Voltaire, alors que les contemporains de Jules Ferry (celui de la laïcité) ou de Dreyfus n'auraient connu qu'une augmentation d'un facteur 5 entre 1750 et 1900. Nous parlons ici d'un niveau de vie moyen, en sachant que pour le new-yorkais d'aujourd'hui, il faut sans doute multiplier ces chiffres par 3 ou 4, et diviser au contraire par 4 ou 5 ces chiffres pour le paysan sud-américain.
Un autre chiffre, plus étonnant encore peut-être, concerne la variété des biens -et services- échangés de nos jours, en comparaison à celle dont pouvaient disposer nos lointains ancêtres du néolithique, les adeptes de la chasse-cueillette que certains tenants du retour à la nature semblent magnifier.

Entre les 200 ou 300 produits différents que l'on connaissait alors, et la dizaine de milliards de produits et services différents que l'on peut se procurer de nos jours (Wal Mart propose ainsi, par exemple, près de 300 variétés de céréales pour le petit déjeuner, Barnes et Noble ou Amazon offrent près de 10 millions d'ouvrages différents, New York possède plus de 50 000 restaurants, etc.), il n'y a pas vraiment de comparaison possible. Bien entendu, la diversité et la quantité ne sont pas tout, et "l'homme ne vit pas que de pain", mais cela peut quand même contribuer à la qualité de l'existence humaine!

En dépit de tous ces excès, tout cela n'aurait pu arriver sans les innovations qui se sont succédées à un rythme de plus en plus rapide, et qui a encore accéléré dans la dernière moitié de vingtième siècle. L'homme n'est pas nécessairement devenu plus intelligent, son cerveau n'a pas grossi, il possède toujours en moyenne les 30,000 gènes de son ancêtre du néolithique, il n'est pas devenu beaucoup plus costaud. Mais ses connaissances se sont accrues de manière prodigieuse, ou, plus exactement, les connaissances collectives dont il peut disposer ont littéralement explosé. On parle d'un capital de connaissance qui, comme la loi de Moore en micro-électronique, doublerait tous les 2 ou 3 ans. Bien entendu, toutes ces connaissances ne sont pas utiles, certaines sont d'un intérêt plus que douteux, certaines sont peut-être même perverses. Mais tout cela existe parce que certains inventeurs ont brisé certains tabous, ont osé aller au delà de ce que la société pensait raisonnable.

Alors, certes, on peut éventuellement ériger en principe absolu le principe de précaution. Pourquoi pas, après tout, si l'on juge que l'humanité a assez progressé, au moins en ce qui concerne son environnement matériel et ses conditions de vie?

Mais sans innovations, comment penser que le niveau de vie moyen de l'humanité ne sera pas, au mieux, stagnant (sans parler du "rattrapage" des populations des pays émergents, qui voudront eux aussi leur part du gâteau, part qui ne pourra que décroître, à la fois relativement et dans l'absolu, pour les habitants, jusqu'ici privilégiés, de la vieille Europe et d'Amérique du nord). On peut admirer le style de vie des innuits et de certaines tribus amazoniennes, et de leur relation à la "vraie" nature. Mais nos contemporains, ceux du moins qui n'ont que le principe de précaution à la bouche, ou sur leurs banderoles, sont-ils véritablement conscients que c'en sera alors à tout jamais fini de la croissance, qu'ils réclament pourtant à grands cris -et sans doute justement- par ailleurs.

L'homme moderne serait-il devenu totalement schizophrène? Pour la défense de l'environnement -voir les discussion du "Grenelle de l'environnement" de l'automne 2007-, mais aussi contre la hausse des carburants, alors que l'on sait pourtant que les dérivés du pétrole sont des ressources rares, en voie d'épuisement. Si l'on a besoin d'innovation, c'est bien dans ce domaine là, pourtant...