lundi 17 novembre 2008

L'Etat peut-il, doit-il, sauver le liberalisme?

‘Libéralisme’, Capitalisme et ‘Laisser-faire’.
Dans un article récent, Jean-Marie Harribey, membre d'Attac, s’appuie sur les liens historiques existant entre capitalisme et libéralisme, et en appelle aux mânes des grands ancêtres, Marx et Keynes, pour affirmer que le libéralisme ne peut être sauvé de son péché originel, la recherche du profit.

Dans une interview accordée à l’Humanité, Maurice Allais, préfère distinguer le ‘libéralisme’ du ‘laisser-fairisme’, en justifiant ainsi son ‘NON’ de 2005 à la Constitution Européenne. C’est le ‘laisser-faire’ ambiant qu’il faut rejeter, et donc l’absence de toute régulation, ainsi que la propriété privée des moyens de production. Sur ce point Harribey et Allais rejoignent Proudhon ‘la propriété, c’est le vol’, Maurice Allais précisant que, même pour Proudhon, c’était la propriété privée des moyens de production qu’il fallait rejeter.

Faut-il modifier les ‘rapports de production’ ?
Keynes, et Allais, s’intéressent à l’amendement des rapports de production, qui passerait par la suppression des rentes non liées au travail, sans vouloir pour autant changer la nature humaine, ou les rapports sociaux. Pour ATTAC, le ‘libéralisme’ étant intrinsèquement pervers, il s’agit de développer systématiquement les droits des salariés et de diminuer leurs "devoirs" - en particulier leur temps de travail -, pour "enfoncer un coin dans les mécanismes du capitalisme" (en assimilant – à tort, je pense - capitalisme et libéralisme).

Nouvelle régulation, ou nouvel avatar de la lutte de classes.
Certes, la crise actuelle, comme toutes les crises, apporte davantage de souffrances aux pauvres et aux exclus du système qu'aux nantis et aux privilégiés. Et l'appel à la (re-)construction de nouveaux rapports humains est évidemment un objectif louable. Trois convictions m'empêchent cependant de partager les idées d'Attac et de m'associer à leur démarche de "lutte de classes", même revisitée.

Ma première conviction, c'est la dualité de l'esprit humain, son côté à la fois individualiste et social. L'altruisme, même s'il existe, n'est pas plus naturel chez les 'petits' que chez les 'puissants', l'égoïsme non plus, bien sûr. Ainsi, peu de gens sont prêts à renoncer spontanément à leurs avantages acquis, quels que soient l'importance de ces avantages.

Une deuxième conviction, philosophique elle aussi, porte sur le concept de propriété. Si l'on interroge les gens qui n'ont rien, leur priorité ne sera généralement pas de demander la suppression de la propriété, mais de réclamer une partie du 'pactole', possédé, à tort ou à raison, par les nantis. On peut souhaiter que l'appropriation des moyens de production soit faite différemment - la défunte URSS ayant montré que cette appropriation collective n'était pas nécessairement très efficace, ni très 'progressiste'- , c’est ce que suggère M. Allais, de façon plus ‘soft’ que le porte-parole d’Attac.On peut certes aussi tenter de faire évoluer ce besoin de posséder, le droit d'usage pouvant se substituer au droit de possession, mais nous en sommes encore bien loin…

Une dernière conviction, moins 'philosophique', porte sur le rôle des entrepreneurs. Autant je ne crois pas à ce que les manuels appellent "productivité apparente du capital" - ni d'ailleurs à la productivité apparente du travail- autant je crois au rôle fondamental, parfois négatif, mais très souvent positif, des entrepreneurs et des chefs d'entreprise, en particulier dans le cadre des PME ou des entreprises 'familiales'. Affirmer donc que dès qu'une entreprise génère un surplus (un profit potentiel), ce dernier doit être affecté, en tant que gain de productivité, aux salariés me semble bien naïf. Il ne s'agit pas non plus de confondre les actionnaires et les entrepreneurs, même si le capitalisme financier a donné de plus en plus de pouvoir aux premiers, au détriment des seconds. Je n'oublie pas non plus, bien sûr, le rôle des collaborateurs de l'entreprise, surtout dans le cadre d'entreprises de service, pour lesquelles les talents individuels peuvent difficilement être remplacés par des machines. On peut se poser des questions sur l'affectation des richesses produites par les entreprises, remettre parfois en cause telle ou telle fausse richesse, exiger que les externalités négatives - pollution, épuisement des ressources fossiles, exploitation éhontée de populations entières - mais nier le rôle positif de nombre de chefs d'entreprise relève d’une idéologie archaique.

Libéralisme et diversité.
La mode est actuellement à la diversité, une fausse diversité d'ailleurs, puisqu'au lieu de s'intéresser et de mettre en valeur les différences individuelles, on s'appuie sur une diversité communautaire et sur des quotas, en collant implicitement des étiquettes à telle ou telle catégorie d'individus. Sur le plan humain, c'est évidemment une erreur. Tous ceux qui ont travaillé en entreprise, ou animé une association, le savent bien. Les individus sont tous différents, la difficulté est de prendre en compte, le plus 'objectivement' possible, ces différences subjectives. Le véritable problème, au delà de toute idéologie, est là.
Comment prendre en compte l'individu, qui appartient nécessairement à plusieurs communautés - ethnique, comportementale, affective ... - à l'aide de règles nécessairement collectives. Cela dépasse bien sûr le cadre des entreprises, mais si le taylorisme n'est plus d'actualité dans celles-ci - puisqu'il s'agit maintenant de manager des différences, au lieu de gérer des ressemblances.

Individus, ou individualisme?

Comment donc intégrer la liberté individuelle, et les talents particuliers, dans un contexte sociétal, et donc collectif? Il n'y a pas de liberté(s) sans contraintes, et penser que le libéralisme économique repose sur l'absence de toute règle est une erreur, qui serait comique si elle n'était si tragique par ses conséquences. Une autre erreur, non moins tragique, étant de nier la liberté individuelle, en faisant de chaque individu un clone de tous ses congénères, à l'intérieur d'une même catégorie ou communauté. Un même sac pour "les banquiers", un autre pour les "ouvriers", un autre pour les "céréaliers", etc. Sur le plan réglementaire, on peut tenter de faire en sorte, bien sûr, que l'appartenance à telle ou telle catégorie ne soit pas un fardeau - ou au contraire un avantage - démesuré. Mais toute discrimination, même positive, liée à la seule appartenance à l'un ou l'autre de ces groupes, serait une erreur. Du moins, telle est ma conception du libéralisme: faire en sorte que l'appartenance à telle ou telle communauté ne se transforme jamais en étiquette, positive ou négative.

L’état régulateur ?
L'Etat a de nombreux rôles, en dehors de ses tâches régaliennes de base. Dans le cadre social et économique, il doit instituer un certain nombre de règles, plus ou moins contraignantes, mais qui ne doivent favoriser aucune catégorie d'individus. Ce n'est pas à l'Etat de décider de ce qu'il faut faire, en revanche il doit afficher ce qu'il ne faut pas faire, ce qui est interdit, et veiller à ce que ces interdits soient connus, et respectés. Il peut ainsi mettre des normes sociales, ou écologiques, ou financières, très strictes, plus fortes que celles érigées par l'Union européenne. Il peut interdire les parachutes dorés, les voitures polluantes (ce qui signifie que faire payer les pollueurs n'est pas une bonne idée, puisque cela favoriserait les 'riches', ceux qui peuvent payer, et donc qui achètent le droit de polluer). Il peut, par des mesures fiscales, plafonner les revenus, et a donc de nombreux moyens d'action. Mais l'Etat ne peut échapper à sa mission de régulateur. Ce n'est que sur l'étendue de sa mission de régulateur que l'on peut s'interroger.

En revanche l'Etat ne peut décider, à l'intérieur de ces contraintes, de la façon d'agir, sans s'en prendre aux libertés individuelles, qui, au delà du seul libéralisme, correspondent au fondement même de la nature humaine.

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