De l'efficacité du service public, et de sa mesure.
J.M. Harribey, que je citais dans un précédent billet, ayant eu l'amabilité de me signaler deux imprécisions ou inexactitudes, je vais tout d'abord faire les rectifications qui s'imposent.
En croissance zéro (la reproduction simple dirait Marx), j'ai indiqué que l'usure des machines et des équipements devait être compensée par les amortissements, et qu'il n'y avait aucun investissement net. En d'autres termes, le PIB que j'ai indiqué n'intègre ni les variations de stocks, supposées nulles, ni un gain net en logements - supposés stables. Etant, par ailleurs, en économie 'fermée' (ou, plus exactement, dans un contexte où la balance commerciale et la balance financière seraient toutes deux à l'équilibre), je n'ai pas introduit de différence entre le PIB brut et net.
En croissance zéro, pas de surplus à distribuer.
J'en avais déduit que si les profits ('revenus non gagnés' par le travail) étaient destinés, comme l'idéologie dominante l'affirme, à financer des investissements, ils devraient être nuls, puisque n'ayant plus cettte justification.
Lorsque notre président, N. Sarkozy, parle de partager les surplus entre ce qui est destiné aux actionnaires, ce qui est destiné aux salariés, et enfin ce qui est destiné à l'investissement net, dans ce contexte la répartition est vite faite. En dehors des salaires 'normaux', contractuels, les 'revenus gagnés', il n'y a rien à distribuer.
Les trois aspects du PIB.
Plus précisément, le PIB est classiquement abordé sous trois aspects: celui de la production ou de la 'richesse produite' (Valeur ajoutée plus TVA), celui des revenus ('revenus gagnés', ou 'salaires', plus profits éventuels nuls si croissance zéro), enfin celui des utilisations de ces mêmes revenus, ou Demande (réduite à la Consommation 'marchande' plus les Dépenses de l'Etat, hors Investissement, supposé nul dans le cas présent).
C'est sur ce dernier point, et plus particulièrement sur les dépenses de l'Etat, que je dois apporter une modification à mon premier billet. Si l'action 'publique' conduit bien à 45% du PIB en ce qui concerne les 'prélèvements obligatoires', les dépenses consacrées à payer des 'agents de l'Etat' (les fonctionnaires) sont voisines de 25%.
Je corrige bien volontiers cette imprécision, d'autant plus que l'objet de mon billet n'est pas là, et ne repose pas vraiment sur ces chiffres, que tout internaute curieux peut trouver assez facilement.
Dépenses publiques et action publique.
En fait, en plus des prélèvements obligatoires, censés permettre les actions régaliennes de l'état (salaires des fonctionnaires et transferts sociaux), d'autres cotisations plus ou moins obligatoires, font monter les 'recettes publiques' à 51% du PIB, pour des dépenses publiques de l'ordre de 54%. On retrouve ainsi le déficit public de 3% en 2007, sûrement plus proche de 4% en 2008. Mais, encore une fois, ce n'est pas le poids des dépenses publiques, qu'il soit trop ou pas assez important, que je veux questionner ici, mais leur efficacité.
Pour ce faire, je vais donc m'intéresser prioritairement à l'aspect 'Dépenses' du PIB, c'est à dire à l'utilisation du PIB (supposé produit, ou mieux 'anticipé' aurait pu dire Keynes). Dans un contexte de croissance zéro, on ne doit donc anticiper que la seule 'Consommation' - pas d'Investissement net.
Le PIB en tant que 'Consommation'.
Cette consommation se décompose en deux parties: la Consommation 'marchande', consacrée 'individuellement' à acheter des biens et services fournies par le secteur privé (là encore, je simplifie), et la Consommation 'collective', qui correspond donc, 'collectivement', à l'utilisation des biens et services fournies par le secteur public. Si je reprends des chiffres voisins de ceux indiqués par J.M. Harribey, et qui ont le mérite d'être simples, on arrive à 75% de 'consommation marchande', et 25% de consommation 'publique'.
Dit autrement, si on représente le PIB comme un gâteau destiné à être entièrement consommé dans l'année, les 3/4 de ce gâteau sont 'choisis' par le consommateur 'individuel', et le dernier quart correspond à une part décidée par la collectivité. Le fait qu'il n'y ait pas d'investissement net signifie, dans cette métaphore, qu'on n'épargne ni gâteau (pas de variation de stock) ni farine ou autres ingrédients. La croissance zéro permet de maintenir les mêmes habitudes de consommation et le même pouvoir d'achat pour chacun, en supposant que la répartition du gâteau ne change pas, bien sûr.
Cette production du gâteau national étant supposée réalisée, plusieurs questions se posent, bien sûr. Tout d'abord, comment la répartition 'marchande/publique' est-elle décidée? Ensuite, comment fait-on pour financer 'judicieusement' ces achats, en s'arrangeant donc pour que les demandes solvables individuelles correspondent aux consommations individuelles envisagées. Dans une troisième étape, nous poserons enfin la question de l'éventuelle relance de la croissance, c'est à dire de l'augmentation du gâteau national.
La question de la 'répartition optimale', consommation privée, services publics.
Peu d'économistes ont posé la question sous cette forme, la plupart d'entre eux pensant sans doute que cette question, soit ne pouvait avoir de réponse, soit avait une réponse fournie par leur propre idéologie. Ce pouvait pour certains être le marché, somme des égoïsmes aveugles, conduisant à l'optimum si on le laissait faire: d'où la restriction de la 'consommation collective' à sa portion congrue, voire même à sa disparition.
Pour d'autres, la répartition optimale devrait être le fait d'autorités planificatrices, qui, dans leur immense sagesse, savaient ce qui était bon pour le peuple.Là encore, la question de la répartition optimale était réglée: plus de consommation 'marchande', seule la consommation décidée 'collectivement' devait avoir droit de cité.
Entre 'tout marché' et 'tout état', on comprend bien que le choix n'est pas aussi binaire. On revient donc à ma question originelle: comment décider de cette répartition, et qui doit en décider? Les patrons, les syndicats, l'état, les ONG, un mix de tout cela, peut être aussi le citoyen-consommateur, rarement invité lorsqu'il ne manifeste pas violemment, hélas?.
Je n'ai malheureusement pas de réponse définitive sur ce sujet, mais je vais simplement tenter d'indiquer quelques pistes.
Ne faisons pas du passé table rase.
Même si je considère qu'il faut aborder la crise économique d'un point de vue résolument novateur, et donc en rupture complète avec les mesures classiques annoncées ici ou là dans la plupart des pays du G20, cela ne signifie nullement qu'il faille tirer un trait sur le passé, et oublier la situation dans laquelle nous sommes.
Il ne s'agit pas, ou plus, ou pas encore, de chercher des responsables à la crise, ou de décréter, à tort ou à raison, que c'est la faute du système, quelle que soit la terminologie utilisée. Face à une situation donnée, que l'on peut synthétiser par une croissance française nulle en 2008, annoncée fortement négative en 2009, que peut-on faire pour améliorer la situation?
Grèves et manifestations de plus en plus violentes montrent l'étendue du problème, et la perte de confiance de nos concitoyens vis à vis du 'système', vis à vis de nos gouvernants, vis à vis d'eux-même parfois. Mais il n'en survient aucune solution.
Il faut donc partir de l'existant, aussi insatisfaisant soit-il, pour montrer comment on peut arriver à une situation globale préférable, sans se réfugier derrière nos idéologies plus ou moins implicites, ou derrière nos revendications, aussi légitimes soient-elles. Nous sommes dans une économie mixte, avec un secteur privé et un secteur public, c'est à chaque citoyen de prendre conscience de la situation, et de demander à leurs divers représentants d'en débattre de façon transparente, en prenant le temps de l'écoute et de la compréhension mutuelles.
Je propose donc deux démarches simultanées, qui me semblent avoir le mérite de permettre de réfléchir non seulement à la première question, sur le choix de la répartition 'optimale', mais aussi aux deux autres, celui de la solvabilité de la demande, et celui de la relance de la croissance.
Première démarche, une table ronde sur l'existant.
Je propose donc un nouveau Grenelle de réflexion nationale. Ce n'est pas remettre en question la personnalité de notre président, avec ses défauts et ses qualités, que d'affirmer qu'aucune personnalité, aussi active soit-elle, ne peut prétendre à elle seule assurer la rupture nécessaire. La crise actuelle est beaucoup trop profonde.
Mais il faudra fixer un délai raisonnable à ce Grenelle, 3 mois, un objectif partagé par tous, 'le problème de la répartition', et une participation étendue représentant l'ensemble des parties concernées: Associations de Consommateurs et d'Usagers des services publics, patronats, syndicats, partis politiques de toute obédience, du Front National jusqu'au NPA, le rôle du gouvernement étant d'alimenter les participants en informations sur les comptes et les dépenses publics, à charge pour les participants d'en demander et d'en vérifier la teneur. Chacun semble réclamer transparence et sincérité, c'est donc le moment de s'y mettre. Il ne s'agit pas de jeter a priori le discrédit sur telle ou telle partie de la population, ou de décréter: il faut plus, ou moins, de fonctionnaires, mais d'en vérifier les besoins, et les possibilités de financement.
Un moratoire nécessaire sur les réformes.
Ceci impose aussi, bien sûr, un moratoire de quelques mois au moins, sur les décisions de ne pas remplacer la moitié des fonctionnaires partant à la retraite, et, plus généralement, sur l'ensemble des réformes envisagées, aussi nécessaires soient-elles pour certaines. Il en va de la crédibilité de l'esprit d'ouverture de nos gouvernants, et en particulier de notre président. La situation est trop grave pour que l'on se cramponne à une feuille de route annoncée avant que l'ampleur de la crise ne se révèle à tous.
Deuxième démarche, l'instauration progressive du RMD.
Dans l'attente des conclusions de ce Grenelle, qui abordera en particulier la question du service public, et de son efficacité dans ses principaux secteurs: santé, éducation, sécurité, justice, etc., je propose l'instauration du RMD (Revenu Minimum de dignité)de façon progressive, 625 euros mensuels pour chaque adulte, la moitié en moyenne pour chaque enfant, ceci s'appliquant à 10 millions de nos concitoyens, soit 15% des plus modestes ou des plus fragiles d'entre nous, l'objectif étant d'instaurer d'ici trois ans le RMD à l'ensemble de la population française. Rappelons ici, à nouveau, qu'il ne s'agit pas d'augmenter les salaires, encore moins le SMIC, la majorité de nos entreprises étant déjà exsangues, mais de permettre une relance de la consommation, à prix stables.
En ce qui concerne, enfin, le problème de la croissance, je prétends que, contrairement aux prévisions pessimistes de la majorité des experts, le gâteau national' peut être augmenté en 2009, dès lors qu'une plus grande compréhension et un meilleur accord sur la répartition de ce gâteau pourront être établis. Les capacités de production des entreprises françaises sont très loin d'être saturées, à en juger par les mesures de chômage technique annoncées un peu partout. L'État, c'est à dire nous, doit permettre l'anticipation de cette relance grâce à une création monétaire intégrant ces mêmes anticipations, et sur les possibilités réelles, physiques, des entreprises françaises. Il s'agit tout simplement d'associer à la demande anticipée les revenus correspondant, pour en faire une véritable demande solvable.
En résumé, ce n'est qu'en partant du résultat espéré, et attendu, en inversant en quelque sorte le problème de la répartition du gâteau national avant d'en décider la production que nous pourrons sortir de la crise. C'est le premier et le plus important 'service public' que l'on peut demander, voire exiger.
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