mardi 22 avril 2008

Travailler plus pour gagner plus?

Ce slogan, archi connu, de la campagne présidentielle française de 2007 a plusieurs qualités, et quelques défauts.

Parmi ses qualités, notons à la fois la simplicité de sa déclinaison, et sa relative justesse. ‘Toutes choses égales par ailleurs’ – c’est sur ce point que nous reviendrons – il est à la fois normal, et juste, qu’un travail supplémentaire permette à la fois de produire plus, et, en principe, de recevoir plus. En outre, tant que des besoins restent à satisfaire, tant que l’appétit national pour le gâteau du même nom n’est pas arrivé à satiété, quoi de plus normal que de chercher à produire plus pour distribuer plus !

Parmi ses défauts, ou ses inconvénients, certains ont été mis en valeur, comme celui de dire qu’en période de chômage, ceux qui vont pouvoir travailler plus ne sont pas nécessairement ceux qui sont en recherche d’emploi, et que le travail supplémentaire ira donc en priorité à ceux qui travaillent déjà. Mais ce n’est pas sur ce point que nous allons bâtir notre argumentaire critique, sans remettre totalement en question l’intérêt du slogan présidentiel.


La condition « toutes choses égales par ailleurs » - le 'ceteris paribus' de la littérature académique - paraît bien raisonnable. Elle risque pourtant – un peu comme un principe de précaution poussé à l’extrême - de bloquer l’imagination créative qui devrait servir à penser différemment, et donc à construire des réformes dont la France et les français ont sans nul doute besoin.

Travailler plus pour gagner plus s’inscrit en effet dans une vision trop statique, voire passéiste, de l’économie, en apparaissant ainsi comme l’envers de la réforme Aubry des 35 heures. Une bonne partie des problèmes rencontrés par la société française nous semble ainsi liée à une vision purement quantitative de l’économie et de sa croissance éventuelle.

Au contraire, dans une vision plus qualitative, moins ‘conservatrice’, de l’économie et du développement des activités humaines, le slogan « travailler différemment pour vivre mieux », s’il est plus difficile à décliner, nous semble de loin préférable. Ce n’est plus alors la quantité de travail – et accessoirement celle du gâteau national – qui est LA variable privilégiée, mais plutôt la qualité du travail, et la qualité du produit et du service associé au travail fourni, et la qualité des organisations qui permettent cela.

Mettre l’accent sur la quantité de travail – que ce soit en heures de travail fourni ou en heures de travail fournies ou épargnées, voire gaspillées – n’est certes pas inutile « toutes choses égales par ailleurs ». Mais quand l’on veut s’attaquer à des réformes structurelles, fondamentales, ce n’est sans doute pas dans cette direction – sinon réactionnaire du moins insuffisamment imaginative - qu’il faut se mobiliser.

Si c’était le cas, celui du « toutes choses égales par ailleurs », Google n’aurait jamais existé, l’Ipod d’Apple n’aurait jamais vu le jour, et nous en serions encore à la chasse à l’auroch et à la cueillette de baies sauvages. L’innovation ne peut évidement être décrétée, et ce n’est pas nécessairement en augmentant le nombre de chercheurs que tout ira mieux. Mais c’est en facilitant les expériences de toute sorte, et en suivant ces expérimentations, qu’elles soient sociales, techniques, organisationnelles que l’on pourra produire mieux, et peut être plus. Le Grenelle de l’Environnement, quelles qu’en soient les imperfections, a montré que l’on ne pouvait plus raisonner «toutes choses égales par ailleurs». Profitons de cette chance historique pour produire et vivre autrement, sans avoir l’œil fixé sur les indicateurs quantitatifs comme le niveau du revenu national ou du PIB. Cela imposera, certes, sinon des sacrifices, du moins des changements de mentalité, à la fois au niveau de la production et au niveau de la consommation. Ce n’est qu’à cette condition que non seulement nous continuerons à vivre différemment – et pas seulement plus longtemps – que nos parents, mais à vivre «mieux», sans nécessairement consommer davantage.

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