mardi 22 avril 2008

Que peut-on croire en économie?

Ce qu’on peut croire, et ce qu’il ne faut surtout pas croire, en économie.

Ce billet, comme nombre de billets de ce blog, va faire appel au bon sens du lecteur pour tenter de démythifier l’économie, ses théories et pseudo-théories. L’économie, en effet, apparaît souvent comme un sujet difficile à comprendre, en partie sans doute parce que les économistes ne font généralement pas l’effort d’être compris par d’autres que par leurs pairs. En partie aussi, du moins est-ce ma conviction, parce que l’économie repose très souvent sur des a-priori idéologiques rarement mis en avant.

Cependant, quelles que soient les raisons de cette insuffisante compréhension, l’économie est quand même beaucoup plus simple que ce que l’on veut nous faire croire (Voir à ce sujet les articles de B. Guerrien, ou dans une autre optique, ceux de C. Michel) , dès lors que l’on sépare le bon grain de l’ivraie, et les rares véritables lois économiques du grand nombre de pseudo-lois, souvent contradictoires.

Cela ne signifie nullement, hélas, qu’il est facile d’agir sur le contexte économique d’une nation. Bien peu de gens en ont réellement le pouvoir ou la capacité. Mais tout un chacun devrait pouvoir comprendre l’essentiel des tenants et aboutissants de telle ou telle décision prise par nos gouvernants, ou qui devrait être prise, dans tel ou tel but.

Pour aider à cette compréhension, et pour bien montrer que le bon sens permet de prendre un salutaire recul par rapport à ce qui est souvent transmis plus ou moins directement par les médias, nous allons commencer par un petit florilège de ce que l’on peut ‘raisonnablement’ croire en économie, de ce que l’on essaye de nous faire croire, et de ce qu’il ne faut absolument pas croire.

Tout d’abord, je voudrais revenir sur la conviction suivante, et tenter de vous la faire partager : peu de véritables lois existent en économie. Rappelons, à l’appui de cette conviction, qu’une loi, en sciences, est censée avoir une portée universelle. C’est ainsi, par exemple, que la loi d’Avogadro liant température, volume et pression en physique ne dépend pas de l’âge de l’expérimentateur ou des conditions sociales, et encore moins de la bonne volonté des molécules du gaz étudié. La loi de Newton sur la chute des corps dans le vide reliant gravité et accélération n’est pas non plus remise en question par la volonté éventuelle de la pomme à ne pas tomber, même si la relativité générale d’Einstein a montré que cette loi n’était qu’une approximation (excellente dans l’immense majorité des cas concrets vécus par tout un chacun). Une loi en science apparaît ainsi comme reliant très précisément, ou du moins à une précision que l’on peut encadrer, les diverses variables ou paramètres que l’on prend en considération (accélération et gravité dans le cas de Newton).

Cela étant rappelé, le fait que l’économie étudie, entre autres, les interactions humaines dans des processus de type production, consommation et échange n’est évidemment pas étranger à la difficulté d’élaborer des lois universelles concernant les activités humaines. Les hommes ne sont pas des robots programmables à volonté ou, ce qui revient au même, de simples fétus de paille sans volonté propre, encore moins des clones. Ne jetons donc pas trop vite la pierre aux économistes, dont la tâche de modélisation est évidemment plus difficile que celle de théoriciens des sciences ‘dures’ (comme les mathématiques, la physique ou la chimie). Leur plus grande faute, peut être la seule qui soit presque impardonnable, est de croire – ou de feindre de croire - que ce qu’ils affirment être de la science (économique) est véritablement démontré ou obtenu scientifiquement, alors que cette prétendue science est bien souvent de l’idéologie, de droite ou de gauche, peu importe ici.

Certaines lois, ou invariants, s’imposent cependant à tous. Parmi ces invariants, commençons par ce qui devrait être évident, et qui intéresse à peu près tout le monde, le pouvoir d’achat, ou, mieux, le niveau de vie, quelle qu’en soit la définition précise.

Loi du niveau de vie : pour une population stable, la croissance du niveau de vie ne peut provenir que de la croissance de l’économie, c'est-à-dire de l’augmentation des biens et services, privés ou collectifs, produits.

Face à cette évidence, plusieurs questions se posent, dès lors qu’il y a plusieurs biens et services (Deux pommes, cinq poires, trois abricots, un Ipod, une Citroen Picasso).

Question 1 : Si la répartition de ces biens et services varie dans le temps (Trois pommes, six pommes, un abricot, deux Ipod, aucune Picasso), comment homogénéiser ces différents biens et services autrement qu’en faisant intervenir un panier de référence, et une « marchandise étalon », traduite le plus souvent dans les économies modernes en argent ?

C’est tout le problème des indices. Voilà déjà une difficulté incontournable, sans solution évidente, à en juger par les discussions actuelles sur l’évolution du pouvoir d’achat en France. Cela se complique encore plus si l’on fait intervenir une modification de la population, et une hétérogénéité dans les goûts, et donc dans les paniers d’achat, de la dite population.

Question 2 : Ce ‘niveau de vie’ moyen est évidemment variable, d’un individu à un autre. Qui décide des différents niveaux de vie ? Ces décisions doivent-elles, peuvent-elles, être indépendantes de la place de l’individu considéré dans le processus de production et d’échange des biens et services considérés ? Faut-il un organisme « au dessus de tous » qui décide des différents niveaux de vie ? Est-ce la jungle ? Et dans cette jungle éventuelle, quels en sont les principes ? Est-ce la loi du plus fort, ou du plus malin, ou du plus compétent ? Ou encore la lutte de classes ?

Pour l’auteur de ces lignes, il n’y a pas de réponse définitive, donc pas de loi (absolue), mais il est sûr qu’à, un moment donné, dans un contexte donné, le fait que la ‘régulation’ de cette répartition soit plutôt soumise à une autorité centrale, ou plutôt laissée au libre arbitre d’un certain nombre d’agents, n’est pas neutre, et a sûrement un impact sur la dite répartition. D’où la question subsidiaire suivante concernant le lien éventuel entre niveau de vie moyen et décisions de répartition du revenu global.

Question 3 : Le niveau de vie global, et donc, pour une population donnée, ‘moyen’ dépend-t-il de la répartition du ‘gâteau’, si l’on entend par gâteau l’ensemble des biens et services produits et mis à disposition de la dite population ? Plus précisément, si l’on décide, à priori, que la moitié de ce qui est produit ira à 10% de la population – que ce soit parce que ces 10% ont un rôle particulier dans la production globale ou pour toute autre raison – aura-t-on des résultats différents si l’on sait, toujours a priori, que la production sera répartie autrement ?

Dit encore autrement, le niveau de vie général, c'est-à-dire la taille du gâteau, dépend t-il de la façon dont on le découpera, et de l’inégalité éventuelle des parts du gâteau ? Le problème se compliquant du seul fait que ces règles de partage, ou de découpage, sont parfois floues, et qu’elles changent aussi parfois entre le début du processus de production : on décide de la composition du gâteau, tant d’abricots, tant de pommes, tant de poires, tant d’Ipod, tant de Picasso et sa fin, le gâteau ne correspondant pas toujours à ce qui avait été prévu. En fait, toute société humaine a des règles de répartition du gâteau, plus ou moins explicites, définies en général a priori, et parfois remises en cause a posteriori. Certaines de ces règles sont marchandes ou entrepreneuriales, d’autres administratives, d’autres familiales ou tribales, d’autres peuvent avoir encore d’autres origines. Quoiqu’il en soit, dans toutes les économies ‘avancées’, c'est-à-dire celles qui ont au moins dépassé le stade de l’économie de subsistance ou de simple survie, donc avec des surplus à distribuer – ou à s’approprier – la conviction de l’auteur est la suivante : la répartition annoncée du gâteau national a une influence, plus ou moins grande, mais certaine, sur la taille du dit gâteau.. Je considère donc ceci comme une loi.

Autrement dit, vouloir séparer la question de la répartition du gâteau national de sa production, ou attendre que le gâteau soit fabriqué pour décider de sa répartition, est un leurre. C’est peut être fâcheux, mais c’est ainsi. Bien entendu, l’immense majorité des économistes sont d’accord avec cette loi.

Mais, pour des raisons idéologiques que le lecteur peut aisément imaginer, peu le disent clairement. Cette loi de répartition nous amène, par ailleurs à une autre question, qui concerne cette fois-ci, non pas la taille du gâteau, mais sa composition.

Question 4 : Ce que l’on produit (et pas uniquement la quantité produite) dépend-t-il de la répartition du gâteau ? Là encore, on peut dire que la réponse est oui, et que c’est donc une loi, que l’on peut formuer ainsi : ce que l’on va produire dépend de la répartition du revenu. Ainsi, en synthétisant nos réponses aux questions 3 et 4, on peut écrire que le niveau de vie moyen dépend doublement de la répartition du gâteau, et des revenus correspondant, à la fois quantitativement (la taille du gâteau) et qualitativement (le goût du gâteau).

Le problème majeur lié aux lois issues de nos réponses aux questions 3 et 4 est alors le suivant. S’il est relativement facile d’homogénéiser différents biens ou services en utilisant un étalon monétaire, l’euro par exemple, et donc de comparer la production correspondant à deux répartitions différentes – les statistiques montrant alors qu’une économie ‘libérale’ est en général plus ‘productive’ qu’une économie ‘socialiste’ se voulant plus égalitaire – rien ne prouve que cette production plus grande est ‘meilleure’. Comme un certain nombre d’économistes l’ont écrit, si l’on peut mesurer le PNB ou le PIB d’une nation, les instruments de mesure du BIB (bonheur intérieur brut) restent à inventer.

Pour terminer ce billet, je vais soumettre à la sagacité du lecteur une question concernant le progrès, quel que soit le sens que l’on peut donner à ce mot fourre-tout. Depuis l’aube de l’humanité, trois tendances, peut être contradictoires, ont vu le jour :

Tendance 1 (que j’appellerai tendance Edison): Progrès technologique. Les inventions technologiques diminuent les efforts à fournir pour produire et délivrer tel ou tel bien ou service, rendu ainsi plus accessible à un plus grand nombre d’individus.

Tendance 2 (tendance Malthus): Croissance démographique. Plus de bouches à nourrir (mais plus de mains (et de cerveaux) pour produire).

Tendance 3 (tendance écolo) : Epuisement de certaines ressources naturelles (charbon, pétrole) et saturation des ressources disponibles (air, eau, sol)

Une question posée à chacun d’entre nous est donc la suivante : quelle tendance va s’imposer, et le monde court-il à sa perte ?

Aucun commentaire: