Pour tenter de montrer que derrière de savants discours économiques se cachent bien souvent des a-priori et des préjugés idéologiques, ignorés parfois par – ou refoulés de – leurs auteurs, je vais prendre deux exemples, l’un plutôt de droite, l’autre plutôt de gauche.
Le fantasme boursier (plutôt ‘libéral’, ou ‘de droite’). C’est celui qui prétend que l’augmentation des cours de bourse d’une économie donnée pourrait être durablement plus élevée, voire beaucoup plus élevée, que la croissance de la dite économie. Autrement dit, sur une période de 15 ou 20 ans, on pourrait avoir une bourse qui croît annuellement de 6%, avec une économie ne croissant que de 2%.
Raisonnons par l’absurde, pour montrer la fausseté d’une telle croyance, pourtant répétée à l’envie par nombre de médias et de chroniqueurs financiers. Les actions représentent, sur le long terme, les profits des entreprises, profits qui sont eux même basés sur la croissance des dites entreprises. Deux cas peuvent se produire.
Soit les profits augmentent plus vite que le chiffre d’affaires, ce qui signifie que la part des salaires diminue. Cela peut évidemment se produire, mais même l’éventuelle exploitation des salariés a une limite. Il arrivera un moment où la croissance des profits se stabilisera, et progressera au même niveau que la croissance du chiffre d’affaires, ce qui correspond bien entendu à la croissance globale de l’économie.
Autre cas. Les entreprises cotées en bourse ont une croissance plus rapide que les entreprises non cotées. Mais là encore, il y a une limite basse à la croissance des entreprises non cotées. Si les entreprises non cotées font des pertes, elles disparaissent, et s’il ne reste plus que des entreprises cotées, on retrouve le même phénomène que précédemment. Sur le long terme, la croissance de la bourse ne peut dépasser celle de l’économie en général. On pourrait d’ailleurs retrouver ainsi une véritable loi, celle qui relie taux d’intérêt, taux de croissance et taux d’inflation : le taux d’intérêt (sans risque) à long terme est égal au taux de croissance de l’économie, corrigé du taux d’inflation.
Le fantasme des retraites (plutôt ‘socialiste’). La décroissance relative de la population active, ou en âge de travailler, vis-à-vis de la population des seniors, et plus généralement la décroissance des actifs par rapport aux inactifs n’aurait rien à voir avec un problème éventuel de financement des retraites, ni avec l’état de l’économie.
Le départ à la retraite après X années de cotisation étant un avantage acquis, on ne devrait sous aucun prétexte le remettre en cause. Là encore, un raisonnement par l’absurde montre que plusieurs paramètres doivent intervenir dans la question des retraites.
Rappelons tout d’abord que les retraites, qu’elles soient par répartition ou par capitalisation, sont un prélèvement sur le gâteau national. Si ce gâteau national a une croissance zéro, et si la part globale consacrée aux retraites est elle aussi stable, plus il y aura d’inactifs et plus les pensions des dits inactifs diminueront. Ainsi, si la proportion des inactifs par rapport à la population totale augmente de 1 % par an, (en passant par exemple de 40% à 41%, puis 42%) le revenu moyen des inactifs diminuera corrélativement. La seule façon de conserver le même revenu moyen serait, en l’absence de croissance, d’augmenter le prélèvement sur les actifs d’autant, c'est-à-dire en relevant les cotisations sociales. Ce qui signifie que tous les gains de productivité des actifs bénéficieraient aux inactifs, le revenu moyen des actifs restant stable.
Cela peut se faire, bien entendu, mais cela imposerait une assez grande modification des mentalités actuelles, et, pour le moins, un large consensus intergénérationnel.
Une autre méthode, bien sûr, serait d’empêcher la population des inactifs d’augmenter, ce qui ne peut être fait qu’en retardant leur âge de départ à la retraite – en dehors de la ‘solution’ plus définitive, celle d’une euthanasie collective des ‘trop vieux’.
Bien entendu, pour éviter d’opposer les actifs aux inactifs, en prenant à l’actif Pierre pour donner à l’inactif Paul, une solution (ne concernant que la bonne volonté des actifs) serait que Pierre travaille, sinon plus, du moins mieux, afin que la croissance issue du travail des Pierre, de moins en moins nombreux, permette à la fois de maintenir, voire d’augmenter le niveau de vie de Pierre, et aussi de permettre à Paul de conserver le même niveau de vie, celui qu’il avait lorsqu’il a pris sa retraite. Là encore, on peut corriger le fantasme énoncé plus haut en énonçant la loi suivante : seule la croissance économique peut empêcher, en période de décroissance de la population active et de la croissance de la population inactive, une diminution du revenu moyen de l’une ou l’autre, ou de l’une et l’autre, des populations concernées.
On peut encore imaginer d’autres cas de figure, encore moins favorables, par exemple si la population totale augmentait, avec une population active stable, et une population inactive en augmentation. Il faudrait alors, pour éviter tout problème de retraite imposant une modification des règles du jeu actuelles, que la croissance de l’économie, obtenue par les gains de productivité fournis par la population active, puisse financer à la fois le revenu des actifs, pour le moins stable, sinon en augmentation, et celui des inactifs. Là encore, c’est évidemment souhaitable, et même possible, mais cela dépend évidemment de la situation économique du moment. La fiction consistant à croire, ou à faire croire, qu’il y a quelque part un fonds de retraite dormant bien au chaud de coffre-forts bien cachés, et que ce fonds de réserve peut exister indépendamment de la situation économique du moment est une fiction intolérable, car pouvant conduire à des conflits intergénérationnels très graves.
Quelle que soit la façon de répartir le gâteau national entre actifs et inactifs, ce gâteau est produit par les actifs, et les pensions de retraite sont issus de ce gâteau là, et pas d’un gâteau qui aurait été fabriqué des années plus tôt, au moment où les inactifs actuels étaient actifs. Parler de fonds de pension semble indiquer qu’il y a réellement des fonds disponibles quelque part, indépendamment du contexte économique, ce qui est évidemment faux, même si l’on veut faire croire (là, c’est plutôt un fantasme libéral) que les retraites par capitalisation sont plus efficaces, ou plus sûres, que les retraites dites par répartition. Dans les deux cas, il s’agit bien de répartir le gâteau national en train d’être produit, pas de distribuer ce qui a été fait 10 ans plus tôt.
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