Ce billet reprend, en l'actualisant, une note parue il y a près de quinze ans dans "De Karl Marx à Bill Gates".
J'avais à l'époque hésité avant d’écrire ce qui va suivre. Entre rester au niveau des grandes idées - et fuir ainsi toute controverse - ou entrer dans le concret - au risque d'être contredit sur certains détails, qui feraient oublier l'essentiel, est un choix difficile.
La crise actuelle, profonde, et le contexte socio-politique actuel m'ont cependant poussé à prendre position, et donc à entrer dans le vif du sujet.
Le Revenu Minimum de Dignité que je propose - certains lui ont donné d'autres noms, tels le Revenu Minimum d'Existence de Y. Bresson (cf aussi un projet de loi de C. Boutin, en mars 2003), ou le 'Citizen Income', défendu au niveau européen par le 'BIEN' (Basic Income European Network)- est un Revenu 'Universel' que toucherait chacun de nos concitoyens, et qui se subsistuerait à la plupart des revenus sociaux, en particulier le RMI et le RSA.
De la faisabilité d'une telle mesure.
L'intérêt d'une telle mesure est évident, au moins pour tous ceux qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. Les 625 euros mensuels que je propose (deux adultes, qui toucheraient ainsi 1250 euros, pourraient ainsi "s'offrir" la maison à 15 euros journaliers de C. Boutin) ne sont certes pas la panacée, mais ce chiffre paraît à la fois possible (il correspond au quart du PIB moyen français de 2008) et suffisamment utile pour sortir la majorité des exclus de leur misère.
Les personnes concernées :
Nous ne vivons plus dans un monde clos. Mais, pour le moment, la notion de citoyenneté reste encore vivace, les débats récurrents sur le concept de nationalité française, de droit du sol et de droit du sang sont là pour l’illustrer, au moins au niveau de notre hexagone national. Le Revenu Minimum de Dignité que je propose peut (doit ?) s’appliquer à tout être humain, mais il me semble qu’il faudrait initialement considérer trois catégories différentes de personnes. Il ne s’agit pas de hiérarchiser ces catégories, mais de déterminer concrètement les façons d’instaurer efficacement ce Revenu Minimum de Dignité.
Je propose donc de différencier les nationaux français, les nationaux européens, et tous les autres, mais en utilisant la même règle d’attribution : chaque individu, quel que soit son âge, son sexe, son ethnie, sa religion, pourrait disposer – à très court terme (j’y reviendrai) – de l’équivalent mensuel, net d’impôts, du ¼ du PIB unitaire de son propre pays. Cela correspondrait à 625 ou 630€ net par mois pour un français, un peu plus pour un allemand, beaucoup moins, hélas, pour un ougandais. Le principe de solidarité est le même, mais dépend des possibilités de la communauté à laquelle on est rattaché. Ceci reste vrai quel que soit son lieu de résidence.
Pour un européen résidant en France, et en tenant compte des règles communautaires – à faire éventuellement évoluer – on pourrait suggérer qu’il y ait une participation des Etats plus riches pour que le revenu minimum de dignité distribué par la communauté française soit augmenté d’une participation de l’état européen concerné, à charge de réciprocité. Pour un non-européen, africain, asiatique, américain du sud là encore, des accords bilatéraux, éventuellement sous l’égide de l’ONU, pourraient être ignés.
Il est évident, en effet, que la France ne peut, à elle seule, assurer un Revenu Minimum de Dignité pour l’ensemble du monde. En revanche, elle peut le proposer au monde entier, et a les moyens de le promulguer pour ses 65 millions de ressortissants. Tout ceci demanderait sûrement à être aménagé, amendé, modifié, mais voilà la première grande piste d’action, très concrète, et qui ne demande ‘que’ de la bonne volonté pour être rapidement appliqué.
La période de transition.
De nombreuses allocations aux personnes, et plus encore de subventions aux associations, aux organismes, aux collectivités, aux entreprises, ont pour objectif de venir en aide, directe ou indirecte, à une multitude de cas particuliers. L’énergie consommée à cet effet est considérable, sans que l’efficacité de l’ensemble de ces mesures soit réellement démontrée. L’Etat s’occupe, directement ou indirectement, de redistribuer, d’une façon que de nombreux experts de tout bord, nationaux ou étrangers, jugent relativement inefficace, plus de 55% de la richesse nationale. Je propose que l’état se contente de redistribuer, mais de façon à la fois directe et efficace, 25% du revenu national, ou plus exactement du PIB.Si l'ensemble de la population est concernée, cela signifie que pour financer le RMD, tout autre revenu devra être imposé à hauteur de 33%.
Il ne sera plus question de mobiliser une armée d’experts et de conseillers fiscaux pour déterminer si telle personne, compte tenu de N paramètres, a droit à telle ou telle allocation. Chacun y aura droit, non pas de la Maternelle à l’Université, mais de sa naissance à sa mort, en tant qu’être humain.
Suivant sur ce point l'avis de l'association sociétalisme, je suggère que le barême pour un enfant soit un peu différent, et que le RMD 'enfant' soit en moyenne la moitié de celui d'un adulte: à 5 ans, ce serait les 5/8 du RMD adulte, à 17 ans, les 17/18 du RMD adulte, la majorité étant à 18 ans en France. Pour un couple qui aurait deux enfants de 7 et 11 ans, le RMD familial serait ainsi de 1875 euros, nets d'impôts. Les moins de 18 ans représentant 20% de la population, cela signifie que le financement nécessaire sera plus proche de 28% d'impôts que des 33% indiqués plus haut.
Quels seront les gagnants, et les perdants?
Certains pourront paraître désavantagés, en particulier ceux qui cumulent déjà diverses allocations sociales. Le RMIste célibataire, avec ses 448 euros mensuels, s'il touche par ailleurs 200 euros d'autres allocations, pourrait sembler y perdre. Mais un couple de RMIstes touchera 1250 euros - au lieu de 672 actuellement, ses éventuels autres allocations ne couvrant sûrement pas la différence. De plus, le RMIiste ou l’allocataire ASSEDIC de longue durée ne sera plus dissuadé de rechercher un travail qui lui plairait, mais qui lui ferait perdre son RMI. Ce seul fait risque de changer totalement la donne du chômage, et rendra caduque la loi sur le RSA.
D'autres gagnants seraient les couples de personnes âgées, qui ne bénéficieraient que du minimum vieillesse 633 euros pour une personne seule (elle perdrait 8 euros), 1135 pour un couple (qui gagnerait 105 euros).
Combien de temps faudrait-il pour appliquer une telle mesure?
Je prétends qu’on peut le faire à l’intérieur d’une même législature, et peut-être même en nettement moins de 5 ans. La première année, seraient concernés en priorité tous les individus sans travail qui, s’ils sont seuls, perçoivent moins que le RMD, ou, s’ils sont en couple, perçoivent moins de 2 fois le RMD (même règle pour les familles, en tenant compte du nombre de personnes à charge). Eradiquer la misère des sans emplois en un an, ceci est possible – du moins pour les ressortissants français et sans doute européens - et cela est nécessaire.
Sur le plan international, car la solidarité et la dignité, individuelle et collective, sont évidemment trans-frontières, ce principe du RMD devrait aussi faire l’objet d’une proposition à l’UNESCO. En moins de trois ans, en étendant le RMD à l’ensemble de la population, la misère la plus sordide devrait être complètement éradiquée de notre pays, et nous pourrions alors être fiers de l’exception française, et de son rayonnement humaniste, un peu plus de deux siècles après la déclaration universelle des droits de l’homme.
En guise de conclusion, les raisons de l'universalité' du RMD.
Certains peuvent trouver choquant qu'un Rockfeller puisse prétendre au même RMD qu'un SDF. Je pense pourtant qu'il est essentiel à la dignité que ce RMD soit attribué à tous, un peu comme pour la blouse grise 'standard' de nos écoliers de 1900.
Ne nous trompons pas de combat. Le droit à la dignité ne signifie pas nécessairement que le travail de chacun a la même utilité économique. Un rabbin, un imman, un prêtre, un travailleur social, un bénévole des Restos du coeur ont une énorme utilité sociale, leur utilié économique est plus discutable, à moins bien sûr que l'on pense que tout est dans tout.
Dit autrement, face au droit inaliénable de tout individu de se sentir réellement “ respecté ” par la communauté dans laquelle il vit, faut-il pour cela que l’Etat vide la caisse provenant des contribuables actuels ou futurs par des aides à l’emploi reconnues de plus en plus inefficaces et coûteuses? Chacun sait, ou croit savoir, que la répartition des revenus est liée à la répartition du travail. Chacun sait aussi que certains revenus du travail, comme le SMIC, sont fort peu incitatifs pour ceux qui les perçoivent, et considérés comme trop importants par ceux qui doivent les financer, entreprises ou Etat.
Ce type de débat, certes important, ne doit pas faire oublier l'essentiel: tout individu, quelque soit son rôle purement 'économique' a un droit inaliénable à sa dignité. L'instauration du RMD peut y contribuer. Nul ne se sentira 'dévalorisé', ou 'humilié', du fait de percevoir ce RMD, puisque chacun y aura droit, Marie, comme Sarah, Pierre comme Mohammed. Au delà de ce 'minimum', à chacun selon sa contribution économique, quelque soit le mode de production envisagé, libéral ou non, c'est un tout autre débat.
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3 commentaires:
Bonjour, et merci pour la pertinence de vos articles. Je me suis permis de mettre un lien sur mon blog vers votre article sur le RMD, une idée que j'aimerais voir exploitée par nos politiques.
Dans le monde réel public, l'assistanat consiste à recevoir quelque chose sans contrepartie. Le RMD tel que défini est donc de l'assistanat. Il est donc choquant de le verser à Liliane Bettancourt et Vincent Bolloré. Par contre si le RMD n'est versé qu'avec contrepartie de services rendus à la collectivité, il en va tout autrement. C'est même une opportunité pour valoriser les activités associatives et non marchandes comme l'éducation de ses propres enfants
Dans la société réelle, et sauf entre individus bien entendu, il y a assistance dès qu’il y a mouvement d’argent ou de bien sans contrepartie. Le RMD serait donc le fleuron d’une société d’assistanat généralisé et dès lors son attribution à François Pinault, Eliane Betancourt ou Nicolas Sarkozy choquerait. Même dans une société de responsabilités, il n’est pas interdit d’être imaginatif au niveau de la contrepartie. Elle peut être non marchande, ce qui permettrait de valoriser les services rendus par les associations et aussi le simple fait d’élever ses propres enfants.
Pour résumer, si toute peine mérite salaire, la réciproque est également vraie.
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