mercredi 18 juin 2008

A nouveau la question des retraites: la solution est plus sociétale qu'économique

Suite à mon premier billet sur la question, un lecteur, plus interrogatif que critique, m'a posé la question qui tue: que faut-il faire ?
Et il est bien vrai qu'en relisant mon billet, je me suis aperçu - je m'en doutais un peu, il est vrai - que je posais plus de questions que je n'apportais de véritables réponses.
Résumons-nous.

Sur le plan purement comptable, ou économique – toutes choses égales par ailleurs – le fait que le pourcentage d’actifs potentiels, ceux qui ont entre 20 et 60 ans – ceux qui ne sont ni ‘juniors’, ni ‘seniors’ – n’ait pas varié sur les 20 dernières années,, et ne variera sans doute pas beaucoup d’ici 2030, montre que la question du financement des retraites n’est pas LE problème fondamental, A CONDITION bien sûr que les actifs (réels, et pas uniquement potentiels) acceptent qu’une partie de la croissance, même minime, serve à financer le nombre croissant de retraités. Sous réserve aussi, bien sûr, que la croissance continue à être, bon an mal an, aux alentours de 2,2 %.

Le problème réel qui me semble beaucoup plus inquiétant, c’est que, à côté du nombre de plus en plus important de seniors – ce qui peut apparaître comme une bonne nouvelle, au moins pour les seniors (que nous avons tous vocation à être, plus ou moins rapidement) – le pourcentage de juniors, les moins de 20 ans, est en constante diminution : arithmétiquement, bien sûr, c’est ce qui explique la stabilité de la proportion d’actifs, c'est-à-dire de ceux qui financent, directement ou indirectement, les ressources des inactifs – retraites pour les seniors, apprentissage et éducation pour les plus jeunes.

Même si cela peut passer pour du simple bon sens - voire une lapallisade – le fait qu’il y ait proportionnellement de moins en moins de jeunes dans un pays, ou une société donnée, ne m’apparaît pas n’avoir que des côtés positifs. Certes, l’accroissement continu de l’espérance de vie est évidemment une bonne chose, du moins tant que les personnes conservées conservent une autonomie suffisante et des conditions de vie acceptables : je ne souhaite à personne de finir sa vie avec la maladie d’Alzeihmer. Il n’empêche : une société qui n’assure pas, au moins, le renouvellement de sa population active, de ses ‘forces vives’ – ce qui est hélas le cas en Europe, et, dans une moindre mesure, en France, est une société en voie de disparition, du moins sous sa forme actuelle.

Ce n’est pas à moi, du moins dans ce billet, de déclarer s’il faut s’en réjouir ou le déplorer, mais c’est un fait indiscutable. Si les tendances démographiques actuelles – visibles depuis 40 ans – perdurent, l’européen est une espèce menacée : la nature ayant horreur du vide, la 'variété' européenne sera remplacée sans nul doute – sauf conflit ou catastrophe mondiale majeure. J’avoue qu’en tant que français, cela me préoccupe un peu, comme sans doute la grenouille gauloise pourrait s’inquiéter, si elle en avait la possibilité et l’intelligence, de son remplacement par le crapaud buffle en passe paraît-il d’envahir nos étangs.

Quoiqu’il en soit, et pour en revenir à un sujet beaucoup plus concret, et d’une actualité de plus en plus brûlante, la question du financement des retraites, j’insiste sur ce point, n’est qu’un épiphénomène, simple symptôme d’une question beaucoup plus délicate qu’aucune discussion bilatérale ou tripartite (syndicats patronat gouvernement) ne saurait régler à elle seule sur le fonds.

En effet, bien au-delà du problème du pouvoir d’achat des différentes parties concernées : personnes actives, retraités, et … juniors (ne les oublions pas, car le problème, et son éventuelle solution, vient de ce côté, trop souvent passé sous silence) se pose la question du coût sociétal de chacun, que la question controversée de la franchise médicale aurait pu mettre en lumière. Même si l’on suppose que la question du financement des retraites est réglée, de façon à ce que chaque retraité puisse bénéficier jusqu’à sa mort d’un pouvoir d’achat constant, sans prélèvement supplémentaire (en pourcentage) sur les actifs – ce que nous avons montré possible dans le billet précité – la question de l’aggravation de l’état de santé des seniors reste posée. Ce n’est pas un scoop en effet de dire que l’accompagnement médical des plus vieux est – ou devrait – être de plus en plus important au fur et à mesure de l’avancement en âge des seniors. Face à cette situation, je ne vois que trois solutions.

La première, c’est de faire appel à la collectivité – donc aux personnes actives, directement ou indirectement – pour financer ce besoin accru d’actes médicaux et, donc, de dépense de santé. Certes, cela va accroître le PIB, et certains économistes diront que ces dépenses ‘tirent’ la croissance, mais pour l’homme de la rue, celui du moins qui n’a pas perdu tout bon sens, cela apparaîtra plus discutable.

La deuxième solution, c’est de faire financer par les seniors cet accroissement de dépenses de santé. Juste ou non, cette solution diminuera évidemment le pouvoir d’achat des seniors, de la même façon que la première mesure diminuerait le pouvoir d’achat des actifs.

La troisième solution, plus insidieuse, est de soigner de moins en moins bien les personnes âgées, dont le maintien en forme s’avère effectivement coûter de plus en plus cher. En d’autres termes, de laisser faire, en feignant de croire que l’allongement de la durée de vie de nos seniors s’accompagne miraculeusement – sans efforts économiques supplémentaires – du maintien « en l’état » de la santé de ces derniers.

De fait, nous sommes face à un véritable problème, et choix, de société. Ce n’est pas vouloir noircir le tableau que de dire que l’allongement de la durée de vie des français – et, plus généralement, des européens ainsi que de la population humaine dans son ensemble, s’il ne s’accompagne pas d’un renouvellement – a minima – de la population active, pose un problème considérable, voire dramatique, de financement des dépenses de santé. Sommes nous prêts à regarder en face cette question, et à nous demander s’il faut choisir – et si l’on peut éviter de choisir - entre dépenser plus pour les jeunes, leur formation de futurs actifs, leur éducation, … et dépenser davantage pour accompagner dignement nos seniors en fin de vie. Si l’on veut faire les deux, cela demandera évidemment davantage d’efforts aux actifs, bien plus en tout cas que le ‘simple’ financement de retraites. Cela exige, de plus, beaucoup de lucidité, et plus encore de courage, à nos ‘élites’ pour annoncer à nos concitoyens que la situation actuelle est bien plus grave qu’énoncée, et annoncée.

Continuer à communiquer urbi et orbi, par médias ou politiques interposés, sur des prévisions de croissance – ou de stagnation – de façon purement quantitative, sans parler du contenu de cette croissance, est « plus qu’une erreur, c’est une faute » comme aurait pu dire Talleyrand.

Je ne suis certes pas le premier à dire que le P.I.B., indicateur statistique permettant, entre autres, des comparaisons intertemporelles et internationales, est très imparfait. Le moindre débutant en économie sait qu’un carambolage sur l’autoroute ou qu’ un accroissement d’actes chirurgicaux liés, par exemple, au cancer du sein, du colon ou de la prostate augmentent le PIB, alors qu’une promenade en forêt n’a aucun impact sur ce même PIB, et donc que le PIB n’est qu’un ersatz de ce qu’il faudrait mesurer.

Ces imperfections, connues sans doute et semble t-il oubliées encore plus vite par nos dirigeants, ne sont pas capitales en situation ‘normale’, c'est-à-dire en l’absence de bouleversements profonds, à la fois des technologies et des échanges marchands. Mais le monde est en train de changer, plus vite en 5 ou 10 ans qu’au cours du siècle dernier.

La population humaine continue à s’accroître à grande vitesse, les famines que l’on croyait appartenant à une époque révolue refont surface un peu partout dans le monde, les vérités d’hier : « vive le biocarburant » deviennent mensonge 2 ou 3 ans plus tard, le pétrole joue au yoyo, et toujours de plus en plus haut, le tiers monde arriéré devient menaçant, voire impérialiste, les avancées technologiques se succèdent de plus en plus vite. Et on voudrait encore raisonner sur les comptes de la nation comme en 1950, à l’heure même ou la pauvre Russie, ex-URSS complètement dépassée il y a 20 ans, redevient une puissance redoutable – pas assez redoutée peut être, alors qu’elle a la fois la technologie et les ressources naturelles.

Les véritables problèmes qui se posent à la société française peuvent sans doute encore être résolus, si tant est qu’on ne se réfugie pas, ou plus, derrière des concepts dépassés, et derrière des slogans de plus en plus vides de sens.

Peut-on faire l’économie d’une réflexion sur la croissance, voire sur les composants – et non seulement le niveau du pouvoir d’achat ? Peut-on laisser à des concertations syndicales ou arrangement multipartites une réflexion sur l’évolution démographique de la France, et donc sur la politique familiale ? Peut-on laisser de côté des questions concernant les biens et nuisances publiques – ce que les économistes appellent externalités – telles que l’utilisation des ressources énergétiques non renouvelables, en se contentant de réagir plus ou moins efficacement à des demandes catégorielles exacerbées par le malaise et le mal-être des professions et populations concernées, telles les routiers, les marins-pêcheurs ou encore les ambulanciers, voire le citoyen 'standard' ?

Si le problème, mal posé, des retraites et de leur financement, pouvait contribuer à se poser de telles questions, et sans doute beaucoup d’autres, de type sociétal, ce serait un mal (petit) pour un (grand) bien.

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