mardi 3 juin 2008

les retraites en France: peu de faits et beaucoup d'idéologie

Depuis le temps qu'on en parle, on pourrait penser avoir tout dit, et tout entendu. Et pourtant.... si les faits sont têtus, les idéologues le sont plus encore.
Partons des quelques faits connus, relativement indiscutables. Pour les éventuelles solutions, ce sera plus compliqué, et sûrement moins consensuel.
Fait n°1: l'âge officiel de départ à la retraite est passé, en France, de 65 ans à 60 ans, en 1981. Ce fut l'une des premières mesures du gouvernement Mauroy, au début du premier septennat de F. Miterrand.
Fait n°2: l'âge officiel de départ à la retraite varie entre 63 et 67 ans dans les différents pays de l'Union européenne.
Fait n°3: entre 1981 et 2007, la population française a cru de presque 10 millions, en passant, d'après les chiffres officiels de l'INSEE, de 54 millions à 63,8millions
Fait n°4: pendant ce même laps de temps, l'espérance de vie moyenne s'est élevée d'environ 6 ans, soit un trimestre par année.

Après "ces données démographiques", deux ou trois faits économiques, ainsi qu'une projection démographique (quand nous disons projection, cela signifie que cela peut être faux, mais qu'il est très probable que non).
Fait n°5: Après un taux de croissance moyen de 5,6% par an entre 1960 et 1974 (débuts de la cinquième république, le 'miracle français'), depuis 1975 (premier choc pétrolier, et début de la présidence de V.G.E.) la croissance française va s'établir en moyenne autour de 2,4%, un peu moins depuis 2001.
Fait n°6:Le partage des fruits de la croissance (très ralentie depuis 20 ans). La part des salaires dans le Revenu National, qui est restée très longtemps autour de 70% (jusqu'en 1975), pour atteindre près de 74% en 1982 (avant le premier plan de rigueur du gouvernement Mauroy) est redescendue aux alentours de 65% depuis 1989.
Projection démographique: la part des seniors (plus de 60 ans) qui est passée (c'est un fait) de 18% en 1975 à 25% en 2005 culminera à 32% en 2030, la part des juniors (moins de 20 ans) passant dans le même laps de temps de 32% à 21%, ce qui implique pour la population 'intermédiaire' (donc entre 20 et 60 ans) une certaine stabilité, puisqu'elle passera de 50 à 48%.

Que faut-il conclure de cette avalanche de chiffres?

Tout d'abord, que le niveau de vie moyen de la population française, si le rythme de croissance démographique reste ce qu'il est (croissance davantage dûe à l'allongement de la durée de la vie et à une immigration continue qu'à une forte natalité, mais peu importe ici), c'est à dire d'environ 0,3% par an, et si le taux de croissance reste dans les fourchettes envisagées (de l'ordre de 2à 2,2% par an), peut continuer à croître, lentement mais sûrement, d'environ 1,8% par an. Ce n'est pas le taux de 5% des Trente Glorieuses, mais ce n'est pas si mal.

Que devient dans ce contexte le problème des retraites?
On peut l'envisager de plusieurs manières, mais ce qui est sûr, c'est que le niveau de vie général, celui des actifs comme celui des inactifs, des juniors comme des retraités, est nécessairement lié au niveau du PIB. Si ce PIB continue à croître (en volume, c'est à dire de façon réel, en euros constants, et pas seulement en prix), le problème des retraites sera plus généralement lié au problème de la répartition du revenu national, ce qui est à la fois un problème politique, social, et économique, et donc idéologique, au sens plus ou moins noble du terme.

C'est à ce niveau, idéologique, que les choses se gâtent, si l'on peut dire. S'il y a plusieurs tendances parmi les économistes - on dit souvent que lorsque deux économistes se rencontrent, ils ont au moins trois points de vue différents, c'est tout dire - on peut, en simplifiant, considérer deux visions assez nettement différentes.
La première considère que le problème de la répartition du revenu national ne peut être séparé arbitrairement de la question de la production. En d'autres termes, la taille du gâteau dépend de la façon dont on a décidé a priori de la répartir, la bonne volonté des cuisiniers étant liée à ce que ces mêmes cuisiniers pensent pouvoir déguster de leur préparation culinaire, et donc de leurs talents et de leur travail.
La deuxième vision, assez nettement différente, consiste à dire. Faisons un gros gâteau, on verra après comment on se le répartit.

Une troisième vision, plus caricaturale, consisterait à se dire: peu importe la taille du gâteau, du moment que chacun en a une part équivalente, ou, petite variante, en a une part correspondant à son appétit: à chacun suivant ses besoins, de chacun suivant ses moyens.

Ce qu'il est important de noter, en tout cas, c'est que la question de la retraite n'est en rien liée au pseudo débat "retraite par répartition vs. retraite par capitalisation". Dans les deux cas, capitalisation ou répartition, le niveau des retraites ne dépendra pas de ce qui a été économisé dans une vie antérieure, mais de la taille présente, et future, du gâteau natiopanl. S'il n'y a plus de cuisiniers, il n'y aura plus de gâteau, et donc pas davantage de retraites. On peut certes discuter sur le fait que la retraite par capitalisation est plus individuelle, et peut être plus motivante - ce qui est possible, mais ce qui reste à prouver - qu'une retraite par répartition, plus collective.
Mais le problème majeur n'est pas là.
On revient toujours à la question de fond: le gâteau national va t-il continuer à croître?. Si oui, cette croissance dépend évidemment des actifs, la population 'intermédiaire', ceux qui ne sont ni juniors, ni seniors (en principe du moins) et qui ont un emploi.
Si les actifs acceptent qu'une partie un peu plus importante de ce qu'ils produisent effectivement, et actuellement, aille aux inactifs (une proportion un peu plus grande pour les 'seniors', une partie un peu plus faible pour les 'juniors'), le problème des retraites sera réglé.
Précisons à nouveau, au risque de lasser, que le véritable problème est bien plus celui du niveau de vie - en croissance moyenne de 1,7% - que celui des retraites. Il est clair que si les actifs veulent retrouver une croissance de pouvoir d'achat voisine de celle des années 1960 - 5 % par an - , avec une croissance de 2 à 2,2% seulement, les retraités vont souffrir.
Mais s'il y a, au contraire, un consensus national pour que le niveau de vie moyen croisse aux alentours de 1,7 à 1,8%, le problème du financement des retraites sera un problème relativement simple à régler, dès lors que - projection démographique oblige - la part des 'activables' (, nos 'intermédiaires' - cuisiniers de surcroît - les personnes ayant entre 20 et 60 ans) restant stable et voisine de 50%.
Dans ce contexte, ce n'est qu'en cas d'une diminution de la croissance, voire d'une régression, que les choses pourraient devenir difficiles.
Mais la question des retraites ne serait toujours pas la question fondamentale. L'appauvrissement éventuel de la France, ou sa place dans le concert économique des nations, et donc dans le contexte de la mondialisation, nous semblent bien plus fondamentaux. Bien plus importants, en tout cas, que la question de l'éventuel allongement de la durée des cotisations, ou qu'un relèvement très léger, mais peut être indispensable - au moins à la marge - du taux des cotisations. Certes, la proportion des retraités par rapport à celle des actifs, va continuer à augmenter. Mais, hélas, la part des juniors par rapport à celle des actifs va, elle aussi continuer à décroître, et compenser cette charge des 'vieux'. A très long terme - après 2040 ou 2050 -, le problème est beaucoup plus un problème démographique: pas assez de jeunes, qu'un problème de retraites.

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