lundi 2 mars 2009

Monnaie officielle et monnaies alternatives

Rôle et fonctionnalités de la monnaie.
Pour débuter ce billet, commençons donc par essayer de découvrir le rôle de base, fondamental, que devrait avoir toute monnaie, en essayant donc de dépouiller ce rôle de toute idéologie, consciente ou non. Cette découverte me semble essentielle, puisque, à en croire Thomas Jefferson: "Celui qui contrôle l'argent de la nation contrôle la nation".
De fait, même si ce n'est pas toujours ainsi que cela apparaît :"La Monnaie, ou l'Argent-monnaie, est un moyen d'échange, et rien d'autre". C'est du moins ainsi que la décrivait il y a près d'un siècle l'économiste proudhonien Silvio Gesell, et c'est sur cette fonctionnalité que nous bâtirons notre exposé.
On peut aussi s'appuyer sur la définition proposée par un spécialiste monétaire iconoclaste, B. Lietaer :"Money is an Agreement, within a Community, to use something as a Medium of Exchange", pour insister sur le côté conventionnel de l'Argent-Monnaie.

Nous essaierons de montrer que c'est en s'écartant de ce rôle que ceux qui créent la monnaie 'habituelle', directement ou indirectement empêchent ceux qui devraient l'utiliser comme moyen d'échange, producteurs comme consommateurs, de jouer correctement leur propre rôle économique.

Comment mesurer la qualité d'une monnaie?
En règle générale économistes et experts abordent la monnaie en s'interrogeant sur sa valeur, mot attrape-tout s'il en est: entre valeur d'usage, valeur d'échange, valeur refuge, valeur symbolique, on peut tout y mettre.

Il me semble de loin plus utile de m'interroger sur la qualité de la monnaie dans son rôle premier, celui de moyen d'échange. Sur ce point, je rejoins donc encore Silvio Gesell, dont Keynes disait que l'on avait beaucoup plus à apprendre que de Marx, Silvio Gesell qui écrivait:" Le degré de sécurité, de rapidité et de bon marché [B.L. cheapness] avec lequel les biens sont échangés est le test de l'utilité de la monnaie-argent".

Il est certain que si l'on analyse l'utilité actuelle de la monnaie telle qu'elle est utilisée actuellement en France et en Europe - monnaie libellée en Euros - ou dans le monde, on ne peut que constater que cette utilité est fortement compromise.

Trois critères pour juger de l'utilité et de la qualité d'une monnaie.
Citant une dernière fois Gesell et son oeuvre maîtresse, l'Ordre Economique Naturel - devenue introuvable en française, nous en déduisons trois critères, trois indicateurs, de bon fonctionnement de tout système monétaire (ma traduction 'libre' à partir d'une version anglaise, disponible sur internet]:
"[une 'bonne' monnaie devrait]
1. Sécuriser l'échange de biens et services [goods] - à évaluer à l'aulne de l'absence de dépressions commerciales, de crises et de chômage.
2. Permettre l'accélération des échanges - à évaluer à l'aulne de la diminution des stocks, d'un nombre croissant de marchands et de boutiques, ainsi qu'à l'augmentation concomitante des possessions ['storerooms'] des consommateurs
3. Diminuer le coût des échanges - à évaluer à l'aulne de la faible marge existant entre le prix [de production] du producteur [...et le transporteur] et le prix payé par le consommateur
."

Là encore, à l'heure actuelle, constatons que le critère 1, le premier indicateur de Gesell, montre que l'argent ne joue pas correctement son rôle, du fait même de l'existence de crises durables.
Le critère 2, qui voudrait que les vases communiquant entre les stocks des entreprises et les possessions des ménages joue en direction des consommateurs, et pas dans l'autre sens, n'est pas non plus vérifié: là encore la monnaie est défaillante, puisque les stocks d'invendus augmentent, et que les consommateurs n'ont plus les moyens d'acheter.
Le critère 3, sur les marges et les profits réalisés par les entrepreneurs au détriment des ménages, est plus difficile à vérifier - on l'a vu récemment en Guadeloupe - du fait d'un manque de transparence assez net. Je ne m'aventurerai donc pas trop sur ce point, ne voulant pas être taxé d'idéologue. Je reviendrai cependant partiellement sur ce dernier critère quand j'aborderai le problème des taux d'intérêt et des prêts.

Premier constat: notre système monétaire est défaillant.
Rappelons que sans parler ici des conditions ou du mode de production, capitaliste ou non, et sans même revenir sur la faillite du système financier et bancaire mondial, et ses milliers de milliards de 'valeurs' partis en fumée, nous avons constaté, comme tout un chacun - en dehors peut être des experts auto-proclamés ou des économistes aveuglés par leurs a-priori et leur idéologie - que la monnaie ne jouait pas son rôle premier celui de 'faciliter les échanges'.

Cette monnaie, la monnaie officielle, celle qui est évaluée en euros, en dollars ou en yuans, n'est donc pas au service de l'économie réelle, physique, celle qui se concrétise par un niveau de vie sinon correct pour tous, du moins en amélioration pour tous, avec un chômage sinon complètement disparu, du moins en diminution constante.

Bien au contraire, au lieu d'être à son service, elle apparaît comme l'une des causes majeures, sinon LA cause essentielle, du marasme actuel, et de la dépression qui s'annonce comme étant la plus grave depuis plusieurs générations.

Ce constat, difficile à réfuter étant fait, et avant d'y apporter des éléments de solution pour tenter de sortir de la crise actuelle (Revenu Minimum de Dignité -RMD - et monnaie alternative ou parallèle "au service réel de l'économie réelle"), je voudrai préciser ce que je pense être les causes essentielles de cette défaillance du système monétaire, en dehors de tout ce qui a été dit sur les 'responsabilités' et les 'responsables' de cette crise.

Pour moi, les causes de la crise - indépendamment, je le précise encore une fois du type de système plus ou moins 'libéral' dans lequel nous sommes (et qu'il est toujours loisible de critiquer, ou d'encenser, ce n'est pas ici le débat)- sont à chercher dans les autres rôles que l'argent a acquis au cours des âges.

De la valeur 'non économique' d'une monnaie.
Au delà de son rôle 'étalon de valeurs' , (cf l'école post-ricardienne de Sraffa), à partir du moment où la monnaie n'a plus été considérée essentiellement, comme par les physiocrates, comme un simple élément de lubrification des rouages de l'économie réelle, mais bien comme une marchandise particulière ayant une valeur intrinsèque en tant que telle, le ver était déjà dans le fruit. Comme nous le reverrons, la plupart des expériences monétaires alternatives porte sur le fait d'éviter toute thésaurisation de la monnaie-argent, sur le fait d'en faire, comme toute autre marchandise, une denrée 'périssable' - seul son temps de péremption varie suivant les auteurs.

Il serait évidemment stupide de nier, sous prétexte que ce sont des effets pervers, que la monnaie traditionnelle, censée être garantie par la collectivité - représentée par l'état ou d'autres autorités de tutelle - a de tout autre rôle que d'être un simple étalon servant à fluidifier les échanges et à éviter ainsi une économie qui se réduirait à une économie de troc. On peut cependant simplifier ces autres rôles en les ramenant à être de simples conséquences du rôle suivant: être une 'réserve' de valeur. D'où les fameux arguments de Keynes sur le concept de trappe à liquidités. Lorsque l'argent, censé fluidifier les échanges, ne circule plus, ou plus assez, les échanges eux-même sont perturbés.

L'inflation, comme moyen d'auto-régulation d'un système monétaire.
Bien entendu, à l'inverse, c'est à dire s'il y a 'trop de monnaie' - mais ce 'trop' doit toujours être évalué à l'aulne de la production réelle, ou potentielle, de biens et de marchandises - ou si cette monnaie circule 'trop vite', les prix des marchandises produites vont augmenter eux aussi, et la valeur intrinsèque de la monnaie en tant que 'réserve de valeur' diminuera. M. Allais soutenait à ce sujet que le seul taux 'raisonnable' d'inflation était de 2%, et rendait d'ailleurs responsable de l'inflation le système monétaire actuel.

Je pense bien sûr qu'il faut aller beaucoup plus loin, et ne pas compter sur une auto-régulation du système pour éviter soit les dépressions - pas assez de monnaie 'circulante' - soit l'inflation - trop de monnaie 'circulante' - soit la stagflation- monnaie mal répartie.

Le principe des monnaies alternatives et de l'argent sans intérêt.

Pour éviter la tentation de thésaurisation, nombre d'innovateurs monétaires ont suggéré, comme en 1931-1933 en Autriche, à Schwanenkirchen et à Worgl, comme dans les années 1950 en France, à Lignières en Brie ou à Maurans, une monnaie fondante, ou monnaie 'accélérée', que l'on n'aurait aucun intérêt - c'est le cas de le dire - à thésauriser. Une telle monnaie perdrait automatiquement de sa valeur chaque mois (1% pour le cas de Worgl), ou chaque trimestre. D'où la tentation évidente de la dépenser au plus vite, pour ne pas être sujet à cette décote. Ces expériences, certes locales, ont réussi, jusqu’à ce que le pouvoir central ne les interdise.

Un tel système monétaire pourrait être accompagné de prêts sans intérêt, ou d'intérêt minimal, inférieur dans tous les cas à 1%. Là encore, aucun prêteur n'aurait 'intérêt' à prêter de façon inconsidérée, puisque le montant gagné lors d'une telle opération ne serait pas vraiment incitatif.

On aurait ainsi un véritable 'service public', ou au moins un service 'collectif', les émetteurs de tels prêts - que ce soit en monnaie fondante ou non, étant obligés d'anticiper la richesse produite par ces prêts sans intérêt avant de pouvoir prêter. Au lieu de ne prêter qu'aux riches, on ne prêterait ainsi qu'à ceux qui auraient des idées 'crédibles', des projets 'viables', sans spéculer sur la hausse éventuelle de tel ou tel marché de valeurs, mobilières ou immobilières.

Qui pourrait émettre cette monnaie alternative?
J’ai mentionné plus haut le véritable rôle de ‘service public’, au sens de service destiné pour la collectivité, pour le bien être collectif, d’une monnaie qui aurait pour seul rôle d’être un instrument facilitant les échanges dans une économie industrialisée moderne.

Il se trouve que l’Etat français, qui a délégué par ailleurs à des banques privées, sans véritable contrôle, le soin de ‘battre monnaie’ – par le biais de crédits porteurs (pour la banque) d’intérêts sans lien réel avec le développement de l’économie, a failli dans cette tâche de service public.

Je suggère donc que ce soit la collectivité, peut être au niveau ‘prototypal’ d’une région – il ne manque pas de régions ‘socialistes’ en France – qui émette une monnaie ‘alternative’, le franc PACA, ou le franc ‘Midi-Pyrénées, ou tout autre franc régional, monnaie qui aurait pouvoir libératoire au niveau de la dite région.

On peut imaginer qu’au niveau de cette région, des représentants paritaires des entrepreneurs (côté Production ou ‘Offre’) et des consommateurs (côté Consommation ou ‘Demande’) décident tous les mois du montant de ‘franc régional’ à émettre, en fonction d’un côté de la situation des capacités de production non utilisées – et donc de l’emploi – de l’autre, des besoins les plus urgents et non satisfaits des consommateurs.

Cela aurait pu être imaginé au niveau des Antilles, si cette région n’était pas sous perfusion depuis des années, sans possibilité rapide d’arriver à un minimum d’autonomie économique.

RMD et monnaie alternative.
Toujours dans le scénario d’une monnaie alternative régionale, une des missions sociales de la région étant de distribuer les allocations de RMI, je suggère – je remercie à ce sujet un internaute pour cette idée - que la région concernée commence à instaurer de façon complémentaire le RMD (Revenu Minimum de Dignité) à l’ensemble de ses ressortissants, RMD qui pourrait être émis en monnaie franche régionale, tout en remplaçant le RMI. Bien entendu cette monnaie, pas nécessairement convertible en euro, devrait être rendu légale par l’autorité de tutelle, au moins au niveau de la région considérée.

L’Etat français est-il capable de déléguer cette création monétaire locale à une région, alors qu’elle l’a fait sans aucun remords, sur le plan national, et sans véritable contrôle, à des banques privées ? L’avenir, là encore, nous le dira.

La preuve par l'exemple, ou comment inciter l'Etat à bouger.
Pour décider l'Etat à bouger, ou en attendant qu'il bouge, on peut aussi utiliser le subterfuge allemand, pour pouvoir battre monnaie 'légalement'. Il suffit de créer une association rassemblant entreprises et ménages, comme dans l'expérience du Chiemgauer.
Dans le cadre de cette association vous échangez chaque euro contre une monnaie 'alternative' - le chiemgauer, ou le franc associatif tartempion - qui perd 2% de sa valeur par trimestre, mais chaque adhérent de l'association est incité à accepter ce franc associatif, et donc à le faire circuler le plus vite possible.

LA preuve par l'exemple, en quelque sorte. Tout vaut mieux que de se lamenter sur les 2% de décroissance qui attendent la France si l'on ne fait rien...

A suivre…

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