dimanche 26 juillet 2009

Resterons nous longtemps encore des otages complaisants du système banco-financier actuel?

Faits, certitudes et interrogations sur la crise financière et bancaire actuelle.

A en croire nombre de débats ou commentaires qui fleurissent un peu partout, sur internet ou ailleurs, on peut se demander si des esprits malins ne cherchent pas à noyer le poisson, celui des véritables raisons de la crise actuelle. Peut-on si facilement passer sous silence le risque insensé pris par les banquiers U.S., puis internationaux (et certains emprunteurs) conduisant inéluctablement à la catastrophe finale.

De plus, même si on accepte de voir que la bulle des crédits et la bulle immobilière se sont auto-entretenus (avec la complaisance des "experts" finaciers et des agences de notation), sommes nous prêts à aller plus loin. En d'autres termes, resterons nous longtemps encore des otages complaisants?

Sans vouloir faire du Montaldo, dont je ne peux que conseiller la lecture du dernier ouvrage en particulier pour ceux qui voudraient mettre des têtes au bout de piques, je pense que le débat sur la création monétaire et sur le rôle des banques et des organismes de crédit s'apparente de plus en plus à une discussion byzantine, qui risque de nous écarter de l'essentiel, à savoir notre attitude future sur une réforme du système, et sur les acteurs de cette réforme.


Quelques faits et évidences.
 
Oui, les banques créent de la monnaie, à la différence des institutions financières. Oui, le plus souvent les crédits ne proviennent même pas d'un "pot commun", sorte de tonneau regroupant les DAV des particuliers (même si c'est parfois le cas) mais sont adossés à des actifs non monétaires, aux promesses de rendement futur plus ou moins mirobolantes.

Autre certitude: interroger les banquiers sur ces simples faits que tout étudiant en économie s'efforce d'oublier à peine acquis est pourtant totalement vain. La plupart des banquiers ne veulent pas le savoir et vous jureraient, la main sur le cœur (celui du portefeuille), que leur seul rôle est de faire circuler l'argent au mieux de l'intérêt de l'économie en général, et de leurs clients en particulier.

Pourquoi cette attitude me dira t-on? J'avancerai volontiers deux arguments, l'un pour les grands patrons, l'autre pour les simples collaborateurs.

Les grands patrons, pour pouvoir se regarder le matin dans la glace sans se trancher la gorge, les petits employés car tout est fait pour leur cacher cette réalité.

Seuls les "banquiers intermédiaires", ceux qui seraient à la fois honnêtes, intelligents, renseignés, et pas (trop) ambitieux, pourraient accepter de dire cette évidence. Le pouvoir monétaire des banques commerciales est important (pas infini, certes, mais qu'est ce qui est infini dans le monde, en dehors de la crédulité des gogos et de l'avidité des hommes), beaucoup plus important que ceux que le petit monde de la banque accepte de reconnaitre. Dans le cas contraire, d'ailleurs, pourquoi la presque totalité des plans de relance serait-elle consacrée au renflouement des banques, celles-là même par qui le scandale des « subprimes », « titrisations » et autres « subtilités » financières est arrivé.

Quelques chiffres, pour ceux qui douteraient encore du rôle "maléfique" des crédits accordés à tort et à travers sur des garanties "pipo" d'un monde où l'on raserait gratis, chiffres issus d'un opuscule du CEPREMAP d'André Orlean (mars 2009)«De l'euphorie à la panique », et qui concernent la crise financière qui a éclaté au grand jour mi-2007, mais que certains ont vu arriver dès 2002.
 
Ces chiffres sont d'autant plus intéressants qu'ils montrent, clairement d'après nous, que les deux bulles jumelles, celle du marché immobilier et celle du crédit immobilier, en dehors de s'auto-entretenir, ont laissé totalement de côté l'économie réelle. Je ne range pas ici dans l'économie réelle, du moins dans ce contexte, les investissements en logement, du seul fait qu'une croissance des prix de 9 à 12% par an ne correspond en rien, selon moi, à la valeur "réelle" des dits logements.
 
Dernière remarque préliminaire: plutôt que de reprendre le vieux thème ou la vulgate marxiste de lutte des classes - positionner tout événement dans le cadre d'une succession esclavage-servage-salariat ... ne me semblant pas vraiment explicatif du contexte actuel - je crois que la crise venue des états unis a redistribué assez nettement les cartes, au moins pour un temps.

Deux groupes, les profiteurs et les laissés pour compte.
D'un côté, celui des bénéficiaires (apparents), les locataires – parfois à la limite de la pauvreté - voulant devenir propriétaires et les banquiers: ce côté peut être caractérisé par une naïveté considérable et une avidité sans scrupule (même si on peut plus facilement "pardonner" aux prolétaires voulant se loger bien au delà de leurs possibilités qu'aux courtiers ou aux banquiers).
De l'autre côté, celui des perdants: on peut y ranger ensemble les entrepreneurs (en dehors du secteur immobilier) et les 'prolétaires' simples locataires. Quant aux rentiers, que l'on se doit d'euthanasier depuis Keynes, leur classement dans tel ou tel camp – les profiteurs sans (trop de) scrupules ou les « laissés pour compte » de la bulle financo-immobilière – dépend essentiellement de leur comportement en tant que boursicoteur ou simple épargnant. S'ils ont joué en bourse, ils ont été gagnants jusqu'en 2007. Dans le cas contraire …

En résumé, et si l'on veut reprendre à tout prix le concept de lutte, on a d'un côté une sphère « virtuelle » (mais gageant leurs achats réels sur leur richesse virtuelle) les 'investisseurs immobiliers', petits ou grands ainsi que les 'financiers', de l'autre la sphère "réelle". D'où ce que j'ai appelé par ailleurs la spoliation de la sphère réelle par la sphère virtuelle, de la sphère « productive » par la sphère « financière ».
 
Venons en maintenant aux chiffres.
A. Sur l'immobilier.
En 10 ans, le prix de l'immobilier a cru de 171% (donc a été multiplié par, 2,71= 1 + 1,71, précision qui ne sera utile qu'aux réfractaires aux pourcentages) aux USA, de 139% en France, de 189% en Espagne. Voilà pour les "actifs non monétaires" au rendement espéré (mais extravagant).
L'emprunteur "moyen" empruntant à 6% plus de 80% de la valeur du bien, tout emprunteur se croyait déjà millionnaire, pensant avoir tout compris de "l'effet de levier" cher aux théoriciens du MEDAF (modèle d'évaluation des actifs financiers) et maître d'un phénomène qui lui "assurait" un rendement de 20 à 25% (le temps que le boom durait, bien sûr).

B. Sur l'épargne, le taux moyen d'épargne des ménages américains est devenu négatif. En d'autres termes, ceux qui glosent à longueur de colonne sur l'épargne finançant les crédits vont devoir chercher une autre explication, au moins pour les USA (En France, le taux d'Epargne doit encore tourner autour de 15%)

C. Sur la bulle du Crédit immobilier.
Entre 2000 et 2006 l'encours US des crédits immobiliers est passé de 4800 milliards de dollars à près de 9800 milliards (130% de croissance) pour un PIB n'ayant cru "que" de 20%.
On pourrait faire le même raisonnement pour les indices boursiers (ainsi l'indice du CAC40 - pour la France - est passé sur cette période de l'indice 3200 à 6500 pour un taux de croissance du PIB de 12%, mais ce n'est pas notre propos ici, même si cela montre que les divers marchés 'pipo' ont beaucoup plus "prospéré" que les marchés des biens et services réels, d'où la catastrophe qui ne pouvait manquer de se produire, et dont on veut exonérer les véritables responsables.

Pour l'anecdote le pourcentage des prêts 'subprimes' (dont l'objectif "moral" affiché était de permettre aux "pauvres" de se loger - mais à prix d'or -, le remboursement étant remis aux calendes grecques, 20 ou 30 ans) est passé, entre 2000 et 2006, de moins de 5% des crédits immobiliers à plus de 50% des nouveaux crédits octroyés
 
On pourrait aussi parler du phénomène de la titrisation et plus généralement de tous les produits dérivés augmentant l'effet de levier de ces placements de plus en plus risqués, mais cela ne ferait que confirmer le phénomène rappelé ici. La sphère "non productive" a cru 2 à 4 fois plus vite que la sphère "réelle" (on pourrait relier cela aussi aux expansions différentes des divers agrégats monétaires, M1, M2, M3, mais par paresse et par manque de temps je n'ai pas recherché à l'appui de cette thèse davantage d'éléments factuels) la catastrophe ne pouvait qu'arriver.

Ce ne sont pas 50 milliards "à la Madoff" qui sont partis en fumée, mais plus de 5 ou 6 milliers de milliards de dollars US, bâtis sur du vent (un immobilier largement surestimé) qu'il faut "effacer". Comme les banquiers ne veulent pas être les seuls à payer - en fait ils ne veulent pas payer du tout- cette "surévaluation virtuelle" de 5000 milliards va sans doute coûter 3 à 4 fois plus. Voilà le marché - sans jeu de mots - que nous avons en mains.
 
 
Une double morale , et une question, à cette histoire:
1) je pense de plus en plus que la seule façon de faire une véritable réforme finano-monétaire aurait consisté à laisser se noyer les banques, et pas uniquement Lehman Brothers. Seule l'économie réelle aurait surnagé. Le "miracle allemand" de 1945 est-il si loin qu'on ait oublié l'état de la finance d'outre Rhin d'alors?
 
2)La thèse de André Orléan sur la non-efficience des marchés financiers, à savoir "la finance de marché ne favorise nullement ni l'estimationn juste ni l'esprit critique" me semble pleine de bon sens, m^me si l'on peut regretter qu'il n'ait pas pooussé son analyse plus loin, et s'il refuse explititement de parler de malhonneteté, pourtant avérée, de certains hauts responsables et dirigeants de tout bord. Cette non efficience, c'est ce que j'affirmais déjà en 1975, lors de mon bref passage à Harvard, contre Markovitz, Miller et Myers. Le fait d'avoir pour ma part raison, et eux tort, n'ont pas empêché ces derniers d'avoir tous les trois le prix Nobel. Cela pourrait être anecdotique sur un plan purement théorique et universitaire, mais je doute que cela le soit pour les dizaines de millions de personnes qui vont perdre leur emploi, ou qui l'ont déjà perdu, en conséquence plus ou moins directe de l'application des théories de ces grands noms de la finance de march.

Difficile en effet de considérer ces millions de pertes d'emploi comme de simples dommages collatéraux. A la limite, on pourrait cyniquement, et injustement je pense, considérer comme normales les explusions de ceux qui ont voulu acheter des logements clairement au dessus de leurs moyens.

Mais en quoi ceux qui perdent leur emploi dans l'industrie et les services peuvent-ils être jugés responsables de leur sort?

Faut-il, et est-il encore temps de, réagir?
La question, à laquelle j'ai partiellement répondu, est la suivante. Allons nous continuer à laisser l'économie réelle, et avec elle des millions et des millions d'emplois menacés, être l'otage de la sphère banco-financière?

N'est-il pas temps de remettre à plat l'ensemble du système monétaire, quitte à effacer toutes les dettes des ménages et des entreprises envers les banques, et à créer sinon une monnaie nouvelle, au moins un système monétaire complètement renouvelé, qui serait cette fois sous contrôle et au service de la collectivité? Est-il « raisonnable » d'accepter que plus de 90% des ressources des plans de relance aillent directement ou indirectement aux banques, au lieu d'aller vers les entreprises et les ménages?

1 commentaire:

Eric Goujot a dit…

Bien sûr qu'on ne peut pas faire l'économie de changer de monnaie.

Comment créer démocratiquement la monnaie sans tomber dans les travers des états totalitaires ?

La solution la plus simple et la moins risquée, c'est une monnaie qui correspond à ce qui est disponible dans les magasins, une monnaie distributive.

Cf. http://ecodistributive.chez-alice.fr
ou http://www.lecolibri.org