Suite au rapport Attali et au vote de la loi sur les OGM, mon éminent confrère Caccomo vient d'écrire sur son blog une excellente critique concernant les positions maximalistes de certains experts, ou proclamés tels, nous menaçant des pires catastrophes si nous continuons, d'après ces derniers, à jouer aux apprentis sorciers.
Loin de moi, bien sûr, l'idée que toute invention ou innovation est nécessairement prometteuse, et rien n'empêche, bien sûr, de regarder de près les conséquences de telle ou telle nouveauté ou expérimentation. Il n'empêche. Si l'on regarde l'histoire de l'humanité, sur une très courte période de son histoire -les 15,000 dernières années (sur les millions d'années qui nous séparent, paraît-il, des premiers homidiens), que constate-t-on?
Tout d'abord, un phénomène trop souvent ignoré. Le niveau de vie (on parlerait de nos jours de pouvoir d'achat) des hommes du néolithique (13 000 ans avant J.C.) était très proche de celui des habitants de la Grèce antique (1000 ans avant notre ère) (Tous ces chiffres sont tirés du livre de Beinhocker, "The Origin Of Wealth"). Plus précisément, si l'on prend un indice 100 pour nos congénères du néolithique, l'indice du niveau de vie des contemporains d'Agamemnon ou de Ménélas -ou d'Ulysse- n'était qu'au niveau 180.
Et il faudra attendre le 18 ème siècle, et le milieu du règne de Louis XV -et les prémices de la révolution industrielle- pour que ce niveau de vie atteigne le niveau 200. Plus de 14,000 ans pour avoir un pouvoir d'achat simplement doublé: qu'en pensent nos compatriotes, dont le pouvoir d'achat a été multiplié par 7 au vingtième siècle, et qui se plaignent, à juste titre, de sa stagnation des dernières années?
Encore quelques chiffres, avant d'essayer de comprendre cette très lente évolution du niveau de vie de l'humanité pendant des millénaires, puis sa véritable explosion sur les deux ou trois derniers siècles.
Beinhocker évalue le niveau de vie moyen de l'humanité, pour le début des années 2000, à un montant de 7400. Dit autrement, l'homme 'moyen' du début du 21ème siècle aurait un niveau de vie 37 fois supérieur au contemporain de Rousseau ou de Voltaire, alors que les contemporains de Jules Ferry (celui de la laïcité) ou de Dreyfus n'auraient connu qu'une augmentation d'un facteur 5 entre 1750 et 1900. Nous parlons ici d'un niveau de vie moyen, en sachant que pour le new-yorkais d'aujourd'hui, il faut sans doute multiplier ces chiffres par 3 ou 4, et diviser au contraire par 4 ou 5 ces chiffres pour le paysan sud-américain.
Un autre chiffre, plus étonnant encore peut-être, concerne la variété des biens -et services- échangés de nos jours, en comparaison à celle dont pouvaient disposer nos lointains ancêtres du néolithique, les adeptes de la chasse-cueillette que certains tenants du retour à la nature semblent magnifier.
Entre les 200 ou 300 produits différents que l'on connaissait alors, et la dizaine de milliards de produits et services différents que l'on peut se procurer de nos jours (Wal Mart propose ainsi, par exemple, près de 300 variétés de céréales pour le petit déjeuner, Barnes et Noble ou Amazon offrent près de 10 millions d'ouvrages différents, New York possède plus de 50 000 restaurants, etc.), il n'y a pas vraiment de comparaison possible. Bien entendu, la diversité et la quantité ne sont pas tout, et "l'homme ne vit pas que de pain", mais cela peut quand même contribuer à la qualité de l'existence humaine!
En dépit de tous ces excès, tout cela n'aurait pu arriver sans les innovations qui se sont succédées à un rythme de plus en plus rapide, et qui a encore accéléré dans la dernière moitié de vingtième siècle. L'homme n'est pas nécessairement devenu plus intelligent, son cerveau n'a pas grossi, il possède toujours en moyenne les 30,000 gènes de son ancêtre du néolithique, il n'est pas devenu beaucoup plus costaud. Mais ses connaissances se sont accrues de manière prodigieuse, ou, plus exactement, les connaissances collectives dont il peut disposer ont littéralement explosé. On parle d'un capital de connaissance qui, comme la loi de Moore en micro-électronique, doublerait tous les 2 ou 3 ans. Bien entendu, toutes ces connaissances ne sont pas utiles, certaines sont d'un intérêt plus que douteux, certaines sont peut-être même perverses. Mais tout cela existe parce que certains inventeurs ont brisé certains tabous, ont osé aller au delà de ce que la société pensait raisonnable.
Alors, certes, on peut éventuellement ériger en principe absolu le principe de précaution. Pourquoi pas, après tout, si l'on juge que l'humanité a assez progressé, au moins en ce qui concerne son environnement matériel et ses conditions de vie?
Mais sans innovations, comment penser que le niveau de vie moyen de l'humanité ne sera pas, au mieux, stagnant (sans parler du "rattrapage" des populations des pays émergents, qui voudront eux aussi leur part du gâteau, part qui ne pourra que décroître, à la fois relativement et dans l'absolu, pour les habitants, jusqu'ici privilégiés, de la vieille Europe et d'Amérique du nord). On peut admirer le style de vie des innuits et de certaines tribus amazoniennes, et de leur relation à la "vraie" nature. Mais nos contemporains, ceux du moins qui n'ont que le principe de précaution à la bouche, ou sur leurs banderoles, sont-ils véritablement conscients que c'en sera alors à tout jamais fini de la croissance, qu'ils réclament pourtant à grands cris -et sans doute justement- par ailleurs.
L'homme moderne serait-il devenu totalement schizophrène? Pour la défense de l'environnement -voir les discussion du "Grenelle de l'environnement" de l'automne 2007-, mais aussi contre la hausse des carburants, alors que l'on sait pourtant que les dérivés du pétrole sont des ressources rares, en voie d'épuisement. Si l'on a besoin d'innovation, c'est bien dans ce domaine là, pourtant...
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